5. Pozidono

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Lorsqu'un nouvel Aar'on arrive au pouvoir, son premier devoir est de partir à la chasse au Kili'an. À chaque Aar'on correspond un Kili'an, mais nombreux sont ceux à n'avoir jamais trouvé le leur. Une fois capturé, le Kili'an doit être dressé, sans quoi à jamais il restera sauvage. – Journal intime du premier Aar'on –

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En tant que capitaine de son escouade, Kili'an prenait très à cœur son rôle de chef. Même si, dans la hiérarchie militaire, son échelon n'apparaissait qu'au neuvième des treize rangs que comptait l'armée spatiale, il était très fier de diriger une petite équipe. Et puis surtout, de tous ses compagnons, c'était lui le plus gradé, et ça, c'était la classe. En plus, prenant ses ordres directement de l'Aar'on, le chef suprême de la Fédération, il pouvait agir à loisir dans les quatre grands domaines qu'étaient la police, le sol, l'air et la douane sans avoir rendre de compte aux quatre chefs d'État-major. Mieux, il n'avait même pas à craindre les remarques du grand Khass-Kouil – chargé par le conseil des douze de surveiller tout ce petit monde – ni même à obéir au petit Khass-Kouil – nommé par l'assemblée des représentants pour contrôler le grand Khass-Kouil –. Bref, de tout Vojolakta, il était à la tête de l'unité la plus libre, et c'était souvent l'éclate totale. Chargé par son maître d'une nouvelle mission, il convoqua ainsi tous ses subordonnés pour l'appel traditionnel précédant le décollage. Avec un ton solennel dans la voix, il les héla les uns après les autres :

– Soldat Androïde de jeuxvideoage et de dispute amicale ?

– Présent !

– Lieutenant Mécanicienne-traître de génie ?

– Présente !

– Sergent Intelligence artificielle prétentieuse et inutile ?

– Vous serez puni pour avoir osé dire ça !

– Ok, présent donc. Et enfin, Caporal-chien de protection ?

– WAF !

– Parfait, tout le monde est là ! Yun'ah, allume les machines, on décolle ! En route pour le système Soldane !

L'arrivée d'un nouveau membre dans l'équipage n'était pas passée inaperçu. Dès qu'elle le vit, la mécanicienne du groupe lâcha un « Kromeugnon » sonore indiquant qu'elle était plus que jamais sous le charme. Mart-1, lui, proposa de tester l'animal aux divers jeux vidéo embarqués, ce à quoi Kili'an répondit négativement : c'était le rôle de son androïde, et le sien seul, de se faire ratatiner et humilier par sa personne kilianesque lors des longs voyages à travers Vojolakta, qui duraient souvent plusieurs heures.

Les progrès de l'Humanité en matière de déplacement à haute vitesse permettaient en effet de rejoindre deux points très éloignés de la galaxie en moins d'une journée Horusienne. Les plus grands cerveaux ayant depuis longtemps démontré que tout était relatif et dépendait du point de vue de l'observateur, le premier Aar'on avait déterminé que le sien serait prépondérant sur celui de tous les autres et avait ainsi défini de nouvelles règles au niveau de la physique. Les légendes racontaient que, plongé dans le Regard de son Kili'an, il avait créé les premiers Vorticos, des sortes de trous noirs reliant des points distanciés de la Galaxie, comme si l'espace-temps lui-même n'était qu'une feuille qui se tordait dans tous les sens et dont les extrémités pouvaient se toucher. Ses successeurs s'étaient ensuite attelés à la lourde tâche d'explorer ce monde nouveau et de référencer toutes les zones viables de Vojolakta – finalement assez peu nombreuses –, permettant ainsi à l'humanité de se lancer dans la conquête spatiale. Mais si les Vorticos permettaient sans trop de problèmes les sauts de système en système, il fallait encore gérer les déplacements à l'intérieur même de ces derniers, forcément toujours trop longs. La solution fut rapidement trouvée : si rien ne pouvait aller plus vite que la lumière dans l'espace, alors il suffisait de se servir des courbures déformant l'espace lui-même pour surfer dessus. Ainsi naquit le surf sidéral, permettant de franchir quelques milliards de kilomètres en quelques heures. Seul point qui continuait de poser problème : les accrochages, nombreux et souvent causés par des pilotes du dimanche. Enfin, personne ne savait ce que représentait le mot dimanche, absent de tous les calendriers, mais personne n'avait trouvé de raison de meilleure expression. En cas de litiges, les pauvres malheureux qui s'étaient tamponnés avaient deux solutions pour régler leurs différends : se battre à mort sur la planète viable la plus proche ou remplir un constat. Devant la lenteur effroyable de l'administration, souvent incapable de rendre une décision avant le décès de l'une ou l'autre des parties, c'était le duel qui était le plus souvent choisi. Cela amenait toujours un peu plus de sel aux voyages. Enfin, encore fallait-il que les maladroits ne préfèrent pas tout simplement fuir, ce qui était encore la solution qui permettait d'économiser le plus de temps et d'énergie, même si elle déplaisait toujours étrangement à Kili'an. Surtout quand son vaisseau se faisait emboutir l'arrière-train.

VojolaktaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant