Vojolakta

33. Le Vortico scellé

Un Kilian ça ose tout, c'est même à ça qu'on le reconnaît. Même si des fois, faudrait mieux qu'il se retienne. Ça fait un peu mal quand il ose tout n'importe comment ! Aie ! – Journal intime du premier Aar'on –

*****

– Faites venir mon Kili'an !

Par ces mots, l'Aar'on se libéra de la lourde torpeur qui l'avait pétrifié plusieurs jours durant. Maudissant son existence, il s'était enfermé, seul, dans ses appartements afin de méditer. C'était, du moins, l'explication qu'il avait donnée à ses conseillers. Il n'était pas question que quiconque dans toute la Fédération soit témoin de ses faiblesses et de ses fêlures.

Certains pensent naïvement qu'il est facile d'être l'Aar'on. Qu'une intelligence supérieure, un Regard intimidant, une certaine classe et l'affection des autres suffit au bonheur. Qu'ils l'admirent en cachette ou l'insultent en public, nombreux sont ceux à avoir la même opinion du brun. Quelques-uns, même, souhaiteraient parfois être à sa place, connaître sa réussite, posséder sa répartie ou simplement avoir le droit d'emmêler leurs doigts dans les plus beaux cheveux blonds de la création. Les sots. Les idiots. Les imbéciles. Nulle position n'est plus inconfortable que celle du salaud jouant au gentil, du connard souriant ou de l'orgueilleux sympathique. Comment obtenir des autres un respect qu'on pense soi-même ne pas mériter ? Comment recevoir de l'amour quand on se déteste ? Comment paraître fier aux yeux de tous quand on vit immergé dans la vilenie la plus absolue ?

Comment être digne de l'amour d'un Kili'an quand on passe son temps à le tromper, à lui mentir, à l'humilier et à le blesser ? Comment le regarder dans les yeux quand on est la cause principale de ses larmes ? Comment s'excuser comme si de rien n'était après lui avoir fait mal ? Comment caresser tendrement son corps après lui avoir fait subir moult souffrances ? Comment lui dire « je t'aime » quand on ne mérite pas son amour en retour ? Quand on sait qu'il serait plus heureux ailleurs, sans nous, que sa vie aurait été différente et qu'il n'aurait jamais pleuré son frère disparu après un accident ? Qu'il n'aurait jamais souffert à cause de la stupidité d'un jeune brun en qui il avait fait trop confiance ? Une confiance que ce dernier ne méritait pas.

Toutes ses questions, l'Aar'on se les était posées encore et encore dans l'obscurité d'une pièce qu'il n'éclairait même plus. Il avait voulu se retrouver seul avec son ombre. Il avait honte. Simplement honte. De tous les sentiments qu'il avait pu ressentir, celui-là était le plus intense. Du bout de ses orteils jusqu'aux dernières mèches de ses cheveux. Du fond de sa gorge jusqu'au plus profond de son ventre. Dans sa voix, son regard, son sourire, ses gestes et ses attitudes. La honte. Celle d'avoir fait du mal à l'être aimé. Par posture, fierté ou même arrogance, de ne pas avoir été digne de lui, ne pas lui avoir tout donné, l'avoir rabaissé ou méprisé.

Tout cela n'empêchait cependant pas l'Aar'on d'avoir consigné son bien aimé dans une petite cellule tout en bas de la station orbitale. Il restait le maître incontesté de la Fédération et se devait de respecter certaines traditions. Traiter avec sévérité son Kili'an pour ses bêtises était sans doute la plus importante. Et puis, cela avait un avantage certain : emprisonner le bel adolescent aux yeux verts permettait au jeune brun de ne pas flancher et s'effondrer devant son doux visage d'enfant blessé, trahi et abandonné.

Tout ce que le soldat aux cheveux dorés avait vécu depuis des mois, toutes ses souffrances et toutes ses tortures, cela avait été la faute de l'Aar'on. Les choses étaient aussi simples que cela. Sa captivité sur Witz, son agression par Clé'a, sa soumission à Adri'an... Tout était arrivé à cause de l'inexpérience, des mauvais choix, de la prétention et des erreurs du Légitime. Et qu'avait fait le beau blond après tout cela ? Comme si de rien n'était, il avait ramené à son maître la tête de tous les traîtres qui avaient voulu sa fin.