41. Limbo

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Au début, il n'y avait rien. Puis Gabri'el créa le monde, les couleurs, les formes et les sons. Puis Aar'on lui donna une histoire, un sens, une légitimité, un but. Enfin, Kili'an raconta une blague. Ainsi naquit Vojolakta – Journal intime du premier Aar'on, première page, première ligne –

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Gabri'el avait quelque peu mal à la tête. Son dernier combat l'avait épuisé. Il ne savait même pas où il était. Foutue Clé'a. S'il avait anticipé la présence de la Ztékoj, jamais il n'aurait pu croire qu'elle irait aussi loin pour l'achever. Tout faire sauter était en effet une méthode assez radicale de mettre fin aux débats. Voilà donc ce dont elle était capable quand elle s'énervait vraiment ? Le retour du Bottel'ron l'avait galvanisée. À moins que ce ne fut la trahison de son frère ! Plutôt que de se battre, elle avait étendu sa sphère focale sur des centaines de kilomètres avant de soumettre chaque atome au jugement de son RP Identité. Une fois mais pas deux. Ce genre de botte secrète ne pouvait fonctionner devant quelqu'un qui la connaissait. Gabri'el avait presque tout de suite trouvé la parade. Trop tard. L'explosion s'était déclenchée avant qu'il n'ait le temps de réagir. Son premier réflexe avait été de poser sa main sur son nombril. Son deuxième de sauver toutes les âmes qu'il pouvait en les transportant chacune au dernier endroit auxquelles elles avaient pensé. Puis le souffle l'avait engloutit tout entier.

Était-il mort ? Cela en avait tout l'air. Bah, après tout, il avait bien vécu. Il fallait bien qu'à un moment où à un autre, son existence s'arrête. Là, dans ce flot infini qui le portait, il pouvait à présent se reposer. Il l'avait bien mérité. La seule chose qu'il regrettait était la dispersion de son cadavre en poussière. Il aurait tellement préféré que son corps nourrisse la terre et donne naissance à de magnifiques fleures. Roses, Tulipes, Iris, Pivoines, Orchidées, Marguerites, Tournesols, Violettes... Tout ce qu'on pouvait encore trouver sur sa chère Canaan ; toutes ces couleurs qui l'avaient nourri et qu'il connaissait sur le bout des doigts.

Il ouvrit les yeux. Tout était noir. En dehors du sol, du ciel, des nuages et de l'horizon, il n'y avait rien. Pas un arbre, pas un brin d'herbe, pas un chant ni le moindre animal. Il était allongé sur du vide, bien qu'il puisse pourtant le sentir sous ses mains. L'éternité, c'est long, surtout au début. Il soupira. Et merde, il ne verrait pas la fin de cette histoire. En plus, il avait mal partout. Son bras était brisé en mille morceaux. Son front saignait. Ses jambes ne le portaient plus. Il avait froid. L'au-delà avait quelque chose de déplaisant. Où était le chocolat chaud ? Où étaient les pizzas qu'il partageait avec ses proches et même cet idiot de chat qui adorait le griffer ? Où étaient les autres ? Devait-il être condamné à une odieuse solitude jusqu'à la fin des temps ? Les bras protecteurs de sa mère lui manquaient. Ceux de Kili'an aussi. Même le mauvais caractère de l'Aar'on n'était pas si insupportable que ça, quand on y repensait... Quelle idée stupide il avait eu de se sacrifier ! Mais c'était trop tard, maintenant. Il ne pouvait plus rien y changer.

Tout était tellement noir autour de lui. Tout sauf le sourire rouge et blanc de cette ombre qui, imperceptible, le fixait sans le regarder. L'adolescent cligna des yeux. Elle était toujours là, composée d'une poussière sombre qui ressemblait à de la neige d'un ébène profond. Elle n'avait pas d'yeux, de nez, ni de couleur. Tout juste ce sourire paisible. Rouge et blanc.

– Putain, on peut pas crever tranquille ? Est-ce que je fais chier les autres quand ils clamsent, moi ? Non ? Bon, alors ! Et non, je ne paierais pas d'impôts ! J'en ai jamais payés, j'vais pas commencer aujourd'hui que je suis mort. J'suis un artiste, et les artistes, ça préfèrent mourir que de filler des thunes au fisc. D'ailleurs, c'est exactement ce que je suis en train de faire, là !

Amusée, l'ombre montra ses dents.

– Mais tu n'es pas mort ! Tu es sur Limbo !

– Limbo ? Connais pas ! Moi, la géographie, ça n'a jamais été mon truc. C'est à quelle distance de l'enfer et du paradis ? D'ailleurs, si vous savez où sont les meilleurs gonzesses...

VojolaktaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant