24. Dans l'ombre de l'anti-humanité

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« Qu'y a-t-il de plus goûtu que la sève d'un Kili'an ? Ses larmes » – Devise de l'anti-humanité

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– Tout va bien, grand-père ? Tu sembles préoccupé...

En effet, il l'était. Caressant sa longue barbe blanche, le vingt-sixième songeait au futur de sa chère Fédération quand il ne serait plus là. Il n'avait pas choisi de devenir l'Aar'on. Il l'avait toujours été. Ce qui lui donnait cette certitude, ce n'était pas tant le sang qui circulait dans ses veines ou son éveil à Vortication, le Regard de ses ancêtres, ni même la rencontre avec son Kili'an, un jour de printemps dans les champs d'Horus. C'était plutôt les souvenirs de ses prédécesseurs auxquels il avait accès. On ne devenait pas Aar'on, on naissait avec un fragment de l'âme du premier en soi.

Pendant ses décennies de règne, il s'était battu pour le bien de Vojolakta. Au pouvoir, il avait réaffirmé les droits des Âminêtres tout en protégeant les minorités Âminales. Il avait aussi essayé de réparer les erreurs de ceux qui étaient venus juste avant lui, deux calamités représentant tous les mauvais côtés de la lignée aaronesque. Enfin, il avait aimé tendrement un petit blond aux côtés duquel il avait vieilli. Oh, certes, leur histoire avait été bien compliquée, faite de tendresse, de disputes, de passion et parfois même de haine. C'était une histoire qui se répétait sans cesse, génération après génération, sans connaître de fin. Le lien invisible et indestructible entre le premier Aar'on et son Kili'an avait traversé les âges. La même mélodie, quelques notes sur un piano agrémentées de quelques cris aigus, avait résonné sans cesse dans cette grande pièce ronde perdue sous les étoiles. L'univers tournait autour d'un garçon aux yeux verts.

Cela faisait six ans, – peut-être sept, il ne comptait plus –, que le Sage avait perdu le sien. Ainsi allait la vie, faite de joie, de tristesse, mais aussi de mort. La seule chose qui l'avait rassuré était la conviction que l'âme de son bien aimé s'était réincarnée dans un nouveau corps, pour offrir sa croupe à son successeur tout désigné et ainsi poursuivre un peu plus cette merveilleuse histoire. Dans sa descendance, le vingt-sixième avait tout d'abord pensé que son cadet pourrait prendre les rênes du pouvoir à sa suite, avant que celui-ci ne décède après un voyage qui s'était mal passé. C'était sans doute sa destinée. Il n'était pas né pour être Aar'on, voilà tout, pas plus que son frère, Gér'ar. Le jeune homme était bien trop impulsif, violent et orgueilleux pour, un jour, régner sur Vojolakta. Sa seule réussite notable avait été d'avoir engendré un formidable enfant aux cheveux et aux yeux noirs. Le bonhomme était intelligent, espiègle, fin et sensible. Mieux, il avait en lui l'âme et la droiture des héros d'antan. Le vingt-sixième en était sûr et certain, son petit fils était bien l'être qui, au cours de l'histoire, se rapprochait le plus du premier, l'Amoureux de légende dont ne restait plus dans la galaxie qu'un lointain souvenir.

– Papy, j'te parle... t'es sûr que ça va ?

Tournant avec tendresse les yeux vers cette petite tête brune, le Sage lui passa la main dans ses cheveux fins et soyeux. L'enfant était pur, son sourire apaisant, son Regard d'une portée infinie.

– Mon grand... – demanda le vieil homme. Connais-tu ton prénom ?

– Je n'en ai pas ! – répondit sans hésiter le garçon. Je suis l'héritier, tel que tu l'as décidé, je n'ai pas de prénom, je suis supposé devenir un Aar'on...

– En effet... – s'amusa l'adulte, frappé par l'attitude de son jeune interlocuteur. Et quand tu le seras, quand moi je ne le serais plus, tu dois me faire la promesse de partir à la recherche de ton Kili'an, de le trouver et de l'aimer comme un roi, jusqu'à ce qu'il t'aime en retour de la même flamme. Un jour, quand tu seras grand, tu comprendras tout. La vérité de ce monde te sera révélée, à toi et à toi seul, et tu sauras quoi faire. En attendant, n'oublie jamais que ton but premier est d'aimer... d'aimer et d'aimer encore...

VojolaktaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant