PDV Irniaëlle :
Une fois les valises posées dans le coffre je m'installe à l'arrière de la voiture de mon frère et regarde silencieusement le paysage défiler. J'ai l'impression d'être sur une autre planète. Tout est tellement différent de la France. N'étant jamais partie aussi loin auparavant c'est la première fois que je me sens aussi déboussolée. Je suis avide de tout visiter, tout explorer et en apprendre le plus possible sur ce pays qui me fascine car diamétralement opposé au mien.
- Le trajet en avion ne t'a pas paru trop long ? Comment te sens-tu, le décalage horaire ne te brusque pas trop ? S'enquit Valentin en me regardant dans le rétroviseur.
À vrai dire je l'ai à peine senti depuis que je suis arrivée. Premièrement car je n'ai pas eu le temps de vraiment m'en rendre compte avec l'excitation de revoir mon grand frère. D'autre part j'ai fait une bonne partie du trajet de jour et me suis endormie de nuit et à en juger par la lumière ici c'est encore le matin. Donc en somme c'est comme si une journée s'était écoulée presque normalement.
- Non ça a été, j'ai réussi à m'occuper et puis j'ai dormi donc pour l'instant le jet lag ne m'atteint pas, répondais-je en lui souriant de toutes mes dents d'un air moqueur.
Cela l'amuse et il rigole doucement. Je regarde l'heure sur l'auto-radio : 8:27. Ce qui confirme mes précédentes suppositions quant à l'avancée de la journée.
Le trajet se déroule sans blancs ni gêne, j'ai tellement de choses à raconter à Val en même temps, et étant de nature très pipelette je me lance dans pleins de récits sur ma vie ces dernières années bien que l'ayant déjà appelé régulièrement en 4 ans. Il ponctue occasionnellement mes dires de "oh" et "ah" sans se départir de son sourire qui me fait chaud au cœur.
Sans grand étonnement, Makoto est restée de marbre, plus un seul mot n'est sorti de sa bouche depuis l'aéroport. Je savais les japonais réservés mais son cas me laisse dubitative. Que partage-t-elle avec mon frère si elle est aussi secrète avec lui ? Alors ça c'est bien moi. Toujours à vouloir tout savoir alors que ça fait à peine plus d'une heure que je suis arrivée. Mais tout de même, Valentin n'échappera pas à un interrogatoire serré.
La voiture s'arrête enfin et je soupire de soulagement. Fini les transports pour aujourd'hui j'ai le dos en compote. En sortant je m'arrête, émerveillée. Une magnifique petite maison aux caractéristiques si typiques du pays se tient devant moi. Le jardin est parfaitement entretenu et ponctué ça et là d'érables japonais ainsi que de magnifiques fleurs dont le soleil tapant en fait encore plus ressortir les vives couleurs. L'été ici, m'avait expliqué Valentin, est doux bien que les nuits soient assez fraîches. La saison des pluies étant terminée depuis quelques mois il devrait faire beau la plus plupart du temps. Du moins j'espère.
- Tu rêves princesse ? Qu'attends-tu pour rentrer ? me lance mon frère en riant, une valise dans chaque main.
Je m'avance vers l'entrée et au moment où j'allais poser mon pied sur le parquet, un bras passe devant mon champ de vision m'empêchant d'avancer plus. Je me fige et me retourne. Makoto me fixe de ses yeux inexpressifs sans enlever son bras. Décidément cette fille me perturbe plus qu'autre chose. Je soutiens difficilement son regard perçant et au bout d'un moment qui me semble interminable elle me lance d'une voix monocorde :
- Ne marche pas sur le parquet avec tes chaussures, enlève les et mets ces chaussons, elle me les pointe du doigt, ce seront les seuls avec lesquels tu auras le droit de rentrer dans la maison.
Sur ces paroles elle enfile les siens et s'éloigne d'un pas silencieux. Je reste paralysée quelques instants. Ce n'était pas tant ses paroles qui m'avaient glacée mais la façon dont elle les avait prononcées. Et puis surtout quelle était cette dérangeante manie de me regarder si intensément, comme si elle voulait à tout prix percer tous mes secrets ? Quoiqu'elle ne découvrirait que des problèmes d'adolescente insignifiants.
Je sors de ma torpeur et mets mes chaussons à mon tour avant de finalement entrer. La décoration est de très bon goût, les tons dominants sont clairs et chaleureux. J'ai l'impression que cette maison sort tout droit d'un de ces films décrivant le Japon à grand renfort de kimono et habitations toutes plus typiques les unes que les autres.
La journée se déroule sans incidents, je m'installe dans ma chambre qui donne vue sur un petit étang au-delà du jardin et une épaisse forêt un peu plus loin.
Après avoir envoyé un message à mes parents pour leur signaler mon arrivée, bien qu'ils dorment probablement encore, je me hâte de prendre mes marques en rangeant toutes mes affaires. Puis mon frère m'emmène à pieds visiter les alentours l'après-midi et l'heure du dîner arrive vite. Makoto a préparé un plat traditionnel que je ne reconnais pas du tout mais qui me donne l'eau à la bouche.
Nous commençons à manger en silence jusqu'à ce que mon frère relève vivement sa tête en plantant ses yeux noirs dans les miens, avant de dire :
- Ah mais c'est vrai ! Tu vas faire tes 17 ans avec nous ! Il va falloir fêter ça dignement.
Je dois bien admettre que ça m'était complètement sorti de la tête. Nous sommes le 30 juin, mon anniversaire tombe donc dans très exactement un mois. Et il est vrai que le fait de savoir que je suis bientôt à un an de la majorité me fait tout drôle.
- Ne te prends pas la tête pour ça ce n'est pas quelque chose d'extraordinaire en soi, lui souris-je amusée.
- Au contraire, j'ai raté tes quatre derniers anniversaires et je compte me rattraper cette année, me contredit-il puis il se tourne vers Makoto, hein ? qu'en penses-tu Makoto, on pourrait se faire un bon restaurant pour l'occasion.
Elle se tourne vers lui et pour la première fois depuis que je l'ai rencontrée ce matin ses yeux s'illuminent de tendresse lorsqu'elle lui répond.
- Avec grand plaisir cela fait longtemps que nous ne sommes pas sortis.
Ils continuent à se regarder amoureusement pendant quelques minutes et je commence à me sentir de trop. Je me racle légèrement la gorge et leurs yeux se lâchent enfin. Valentin me fait un grand sourire avant de se lever pour débarrasser.
Une fois hors de notre champ de vision, un silence pesant s'installe entre Makoto et moi. Encore une fois je sens ses prunelles me fixer inlassablement. Cette situation devient difficilement supportable et je commence à m'agiter nerveusement. Soudain la jeune femme se rapproche brusquement de moi, s'empare de mon poignet, et plonge son regard dans le mien. J'esquisse un mouvement de recul mais sa prise est trop puissante pour que je puisse m'en dégager.
- Quand l'as-tu vu ? Comment se fait-il que tu saches à quoi il ressemble ? me lance-t-elle d'une voix tremblante.
Je l'observe sans comprendre. De quoi parle-t-elle tout à coup ? Qui est donc ce il ? En tout cas, bien que ses yeux n'en laissent rien paraître, sa voix trahit une profonde agitation.
- Je... De... De qui parles-tu ? balbutié-je.
Une expression de surprise se dessine sur son visage puis elle me lâche brusquement et se lève pour rejoindre mon frère. J'expire bruyamment pour reprendre mon souffle et fixe mon assiette vide sans la voir.
Je n'ai rien compris à ce qu'il vient de se passer mais j'ai l'étrange intuition que cette histoire ne fait que commencer et que je n'ai pas fini d'en entendre parler.
Sans un mot je me lève à mon tour, débarrasse mon couvert, salue rapidement les deux fiancés et regagne ma chambre. Je me prépare rapidement pour la nuit et me glisse sous les draps. Mes yeux restent grands ouverts et je reste parfaitement éveillée. L'idée me vient alors d'appeler mes parents pour leur raconter ma journée.
Une fois avoir raccroché je m'endors rapidement. Mes rêves sont agités et je revois encore une fois ce jeune homme asiatique aux traits mystérieux. Encore une fois il semble vouloir me dire quelque chose avant que son image ne s'efface et laisse place à d'autres songes.
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Une Part d'Ombre
ParanormalIls se sont terrés dans la peur. Ils ont vécu dans le mensonge pendant plus d'un siècle. Le temps est venu de changer les choses, de changer le Sakuri...