PDV Armand :
Je trébuche sur une racine dans ma course effrénée et m'étale par terre. Valentin saisit cette occasion pour revenir à la hauteur et faire barrage de son corps entre Irniaëlle et moi. Une vague de haine me traverse et je foudroie le jeune homme du regard.
- Tu ferais bien de t'écarter si tu tiens à la vie, fais-je d'une voix froide, presque cruelle.
Il n'a pas l'air décidé à m'obéir et reste campé sur sa position. Puis le voile de chagrin qui m'aveuglait depuis quelques secondes se lève enfin, permettant à mon esprit rationnel de reprendre le dessus. Un éclair de lucidité m'atteint. Et enfin je comprends quand mes yeux rencontrent ceux de Valentin. Je me redresse lentement et me retourne vers Makoto, qui consolait son cousin. Elle semble elle aussi très affectée.
Puis je me décale pour avoir à nouveau la silhouette inanimée sur la planche en vue. Comment ai-je pu la prendre pour Irniaëlle ? À commencer par ses cheveux, qui sont lisses, à l'opposé de la jeune fille. De plus, sa physionomie indique clairement que c'est une adulte. La pression redescend d'un coup et une larme de soulagement roule sur ma joue. Je l'essuie du revers de la main avant de m'avancer vers la planche. Je saisis délicatement le menton de la défunte et le soulève pour voir son visage. Je remarque tout d'abord un long sabre planté en plein dans son cœur, qui était caché par ses cheveux. Un rapide coup d'œil me confirme qu'un trou placé exactement à l'endroit de l'organe a permis de l'enfoncer.
Au moins elle n'a pas beaucoup souffert et a dû mourir presque sur le coup. Il me faut cependant plusieurs secondes avant de la reconnaître. Je me redresse alors immédiatement et accours aux côtés de Totsue.
- Je suis désolé, parviens-je tout juste à murmurer, la gorge asséchée par ma récente angoisse.
Je constate qu'il s'est arrêté de pleurer. Même si elle l'avait renié, perdre sa mère, et surtout de cette manière, doit être une épreuve très difficile à surmonter. Il se dégage de l'étreinte de Makoto et se relève gracieusement.
- Ça devait arriver, je l'avais prédit mais je ne pensais juste pas que ça serait aussi rapide, parvient-il à articuler faiblement.
Personne ne répond à cela, par respect. Un long moment passe avant que le japonais reprenne la parole.
- Je savais que c'était elle qui était la moins dangereuse de mes parents. Parce qu'elle ne cachait pas son caractère, au contraire de mon père. Il est vicieux et terriblement malfaisant.
Je souffle de surprise. Les apparences sont décidément sacrément trompeuses. Bien que je n'ai jamais vu son père, j'étais persuadé qu'il ne pouvait pas être pire que sa femme. Il va falloir être sur nos gardes. Un détail me perturbe cependant. Je me tourne une nouvelle fois vers le corps sans vie d'Haruko en fronçant les sourcils, tout en m'adressant à son fils :
- Il aurait donc laissé sa femme mourir sans le moindre scrupule. N'ont-ils pas vécu plus de cent ans ensemble ? Comment a-t-il pu laisser faire ?
La mine du japonais s'assombrit considérablement et lorsqu'il me répond, son ton est tranchant, sans une once d'émotion :
- Il se peut fortement que ce soit lui qui ait porté le coup de grâce. Pour lui, rien n'est plus important que le Sakuri, au-delà même des relations humaines. Bref, je n'arrive pas à imaginer ce qu'il s'est passé ici, mais je donnerais cher pour savoir.
J'acquiesce en silence. Il est vrai que c'est à n'y rien comprendre. N'étaient-ils pas censés éliminer Irniaë-
- Et Irniaëlle ?! m'affolais-je en me rapprochant de Totsue, sais-tu où elle est ?
Il ferme les yeux pour se concentrer, avant de les rouvrir, pour poser sur moi un regard navré.
- Elle est en vie c'est indéniable. Cela dit, je crains qu'il ne me faille plus de temps pour savoir où elle se trouve sachant que je ne peux rien prévoir la concernant. Je devine qu'elle n'est pas seule mais absolument pas qui est avec elle. J'espère juste que ce n'est pas mon père...
Je soupire avant de me tourner vers Valentin en désespoir de cause. Il paraît en proie à une profonde agitation et affiche un air totalement renfermé. Vaincu, je baisse la tête. Comment allons-nous faire ? Bon sang Irniaëlle où es-tu ?...
***
2 heures plus tôt
PDV Irniaëlle :
Je ne peux pas croire que je vais mourir dans quelques minutes. Tous me regardent avec un air de triomphe. Le père de Totsue semble se délecter de mon désespoir. Cet homme est réellement sans pitié, il prend plaisir à voir les autres souffrir. Je sens qu'on me porte vers la planche. Je tente vainement de me débattre mais ceux qui me portent raffermissent leur prise sur moi, ne me laissant aucune liberté de mouvements.
Ils m'attachent solidement à l'aide des gros liens en fer. C'est alors avec stupeur que je remarque que le trou au milieu de cette fameuse planche se trouve précisément à l'endroit de mon cœur. Je commence à entrevoir ce qu'il va m'arriver. Au moins ce sera rapide, enfin je l'espère. Mais qu'est-ce que je pense ?! Tu ne vas pas mourir Irnia ! Et ce même si une vingtaine de japonais surpuissants qui te détestent t'entourent et t'ont attachée à cette planche si fort que tu ne peux même plus bouger les poignets, tu ne vas pas mourir.
Mouais, allez faut que j'arrête de me faire des illusions. Faites juste que ça soit rapide. Ils semblent m'entendre puisqu'un homme aux longs cheveux plus blancs que la neige rentre dans le temple. Certainement pour aller chercher de quoi me tuer. Mon cœur commence à s'affoler. J'ai peur, peur d'avoir mal, de ne plus jamais revoir mes parents, mon frère, Armand... C'est ce qui m'attriste le plus. Je pense très fort à toute l'affection que j'ai pour eux.
- Je t'en supplie Valentin ne t'en veux pas, ce n'est et n'a jamais été de ta faute, murmurais-je à moi-même en français pour que personne ne me comprenne, Ni la tienne Armand. Pas plus que la vôtre Totsue, Makoto. Je vous adore tous.
Les larmes coulent à flot sur mon visage. J'ai l'impression d'être complètement déconnectée de la réalité. En y repensant, ma vie a tellement changé en seulement un mois. Mais ça m'a tellement plu aussi. Pourquoi devrais-je déjà tout quitter ?... J'aimerais tant me dire que tout ça n'est qu'un cauchemar et que je vais me réveiller très vite dans les bras réconfortants d'Armand. Et mes parents, que vont-ils dire ? Déjà que ma mère a la santé fragile en ce moment, me savoir décédée à des milliers de kilomètres d'elle risque de la mettre dans tous ses états.
Et que penseront mes « amis » du lycée ? J'avais prévu de rappeler Sarah un de ces jours, lui demander comment se passent ses vacances. Elle a pensé à mon anniversaire après tout. Il y a trop de choses que je laisse en plan, sans pouvoir tout organiser pour mon « départ ». Mais merde, je suis vraiment en train de réaliser que je ne serai plus de ce monde d'ici quelques minutes.
Je lance un regard empli d'un profond mépris aux visages ridés et satisfaits qui me font face. Je les déteste tous, un à un, de condamner sans scrupule une adolescente qui a la vie devant elle. Puis le vieil homme ressort enfin, un long sabre à la main. La mère de Totsue s'approche de lui et lui pose une main sur l'épaule.
- Vas-y mon cousin, fais ce qui doit être fait, élimine ce parasite de cette Terre.
Il hoche gravement la tête avant de s'approcher de moi, impassible. Le bruit que fait la lame quand il la sort de son fourreau me fait frissonner au plus profond de moi. Je retiens ma respiration tellement je suis terrifiée. Mais je veux rester digne, et regarde mon bourreau dans les yeux. Il lève sa lame haut, psalmodie quelque chose en japonais si bas que je n'arrive pas à l'entendre puis se rapproche doucement de moi. Et alors que le sabre allait transpercer ma chair, le visage du japonais s'illumine et il me lance un clin d'œil enjoué avant de faire volte-face et scander à l'assemblée :
- Cette jeune fille ne mourra pas ce soir !
Puis quelque chose heurte violemment ma tête et me plonge dans le noir complet.
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Une Part d'Ombre
ParanormalIls se sont terrés dans la peur. Ils ont vécu dans le mensonge pendant plus d'un siècle. Le temps est venu de changer les choses, de changer le Sakuri...