Chapitre 1 : Teaghan

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— Teaghan ?

Occupée à me concentrer sur cette phase critique de mon entraînement, je me forçai à faire comme si je n'avais rien entendu.

— Teaghan ?

D'ailleurs, ce n'était pas comme si je voulais vraiment éviter la personne qui me cherchait avec tant d'ardeur.

Non, non ! Absolument pas !

Enfin... je voulais peut-être éviter "la raison" pour laquelle cette personne me cherchait. Mais là n'était pas la question. Parce qu'il fallait véritablement que je me concentre sur ma progression si je ne voulais pas faire une chute potentiellement mortelle.

Bon, c'est vrai... J'avais peut-être légèrement présumé de mes forces en installant cette slackline aussi haut sur ces arbres. Mais j'étais largement assez habile pour pouvoir m'en sortir. 

Si on n'interrompait pas ma concentration toutes les dix secondes cela dit...

Et puis, maintenant que j'étais au beau milieu de ce fichu élastique, je n'avais plus vraiment le choix. Que j'avance ou que je rebrousse chemin, la distance qu'il me restait à parcourir était la même, alors...

— Teaghan Arwen Kahlan Tel'Andrasta !!!

Ah... Ce n'était jamais bon signe quand ma mère utilisait mon nom dans son ensemble. Même si j'aimais beaucoup mes deuxième et troisième prénoms.

Je les devais à deux personnages de romans que le père de mon grand-père – vous suivez ? – adorait. Il les avait dénichés dans les ruines d'une ancienne bibliothèque de notre île et les avait transmis à son fils. D'après ce qu'on m'avait dit, mon grand-père les considérait comme le plus précieux des trésors. Pour lui rendre hommage, mes parents avaient donc décidé de me nommer comme deux des héroïnes de ces histoires.

Et il est vrai que j'aurais pu tomber plus mal !

Enfin... Surtout si j'avais été un garçon.

La preuve ? Eh bien, mon pauvre cousin adoré répondait au doux nom de Rick Frodon Aragorn. Avouez que ce n'était pas tous les jours facile à porter... J'étais d'ailleurs convaincue que c'était à cause de cela qu'il détestait les romans. Même si, heureusement pour lui, ce n'était pas comme s'il avait dû en lire très souvent. Peu de livres avaient – en effet – survécu à la guerre qui avait ravagé cette île avant qu'on y envoie les bannis.

Moi, je trouvais ça dommage. Surtout que j'imaginais l'Aragorn du roman particulièrement sexy. Legolas aussi cela-dit, mais dans un autre genre. Bon, pour ce qui était de Frodon... Il fallait avouer que mon oncle et ma tante auraient pu lire le roman plus attentivement. Parce que s'il fallait choisir un hobbit je... bref.

Dans tous les cas, j'aurais bien aimé savoir ce qui se passait pour les héros, après la dissolution de la communauté de l'anneau. Même s'il y avait vraiment peu de chance pour que je le découvre un jour. À moins que mon clan réussisse – grâce à je ne savais quel miracle – à dénicher d'autres livres aussi bien conservés, parmi lesquels se trouverait – comble de la chance – la suite des aventures de Gimli, Gandalf, Sam, Merry et les autres... Et...

Bon... On pouvait toujours rêver. C'était d'ailleurs une chose que je faisais très souvent. Même si ce n'était pas forcément le bon moment.

Comme... maintenant d'ailleurs !

— Teaghan ! Ramène-moi tes jolies petites fesses ici tout de suite !

Ah ah ah... Très drôle !

Mais elle croyait quoi ma mère ? Que j'avais décidé d'élire domicile au milieu du vide?

En tentant de la foudroyer du regard pour lui signifier que je faisais mon possible pour la rejoindre dignement, je commis ma première erreur. Erreur qui me fit me rendre compte que, d'une, elle était bien trop loin pour pouvoir lire sur mon visage un quelconque signe d'agacement - le foudroiement du regard était donc clairement une perte de temps - et de deux, quand on vous disait de ne jamais regarder en bas en étant suspendu au dessus du vide, c'était qu'il y avait une raison.

J'eus soudain l'impression que tout bougeait autour de moi. Mes jambes se mirent à trembler et mon estomac décida de me rappeler que j'avais un peu abusé sur les galettes de blé ce matin... En tout cas, croyez-moi. C'était beaucoup plus difficile de jouer les funambules émérites quand le paysage semblait tournoyer sur place et que votre corps avait décidé que vous obéir, n'était plus une nécessité vitale.

Heureusement, je n'étais pas du genre à baisser les bras.

Enfin, d'habitude.

Mais là, c'était beaucoup trop dur. Surtout maintenant que mon déséquilibre et mes foutus tremblements avaient contaminé l'élastique sur lequel j'étais censée évoluer. Ce traître se balançait de plus en plus fort et je mettais quiconque au défi de continuer à marché sur un fil, lorsque celui-ci avait décidé que rester immobile l'ennuyait profondément.

Alors, je renonçai et me laissai tomber dans le vide en poussant un grognement de frustration.

Héritiers des Bannis - Tome 1 : Clans ennemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant