Chapitre 7.2 : Keir

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— Comment est-ce possible ?

La voix de Teaghan me fit sursauter.

Nous ne nous étions pas adressés la parole depuis qu'un Médiateur nous avait conduit dans nos « quartiers » peu après le départ des autres Vingtiales.

Franchement, je ne comprenais pas pourquoi ils nous infligeaient ça. Quel était le but d'enfermer ensemble deux personnes qui étaient destinées – dans un avenir proche – à s'entretuer ? Voulaient-ils tester notre détermination et notre sang-froid (sur ce point, Teaghan était mal barrée au vue de son récent pétage de plomb) ? Ou était-ce quelque chose de... je ne sais pas... de plus sournois ?

En tout cas, quelle que soit la véritable raison de ce huis clos angoissant, Teaghan et moi devions passer les deux jours précédents notre affrontement ensemble. Deux jours durant lesquels les membres de notre classe d'âge effectueraient leurs propres épreuves, tandis qu'à l'extérieur des murs, la fête des Jeux continuerait de battre son plein. Je le savais, car c'était la période de l'année que je préférais habituellement. Avec tous ces stands de nourritures, de trouvailles exotiques, la musique, la danse, les petits concours sportifs... Je parvenais presque à oublier la monotonie et la vacuité de ma vie de Bannis pendant ces quelques jours de divertissements.

Chaque année, les non-participants suivaient le déroulement des Jeux grâce à un héraut qui venait régulièrement prendre position sur une grande estrade, pour relater au « public » ce qui s'était passé de mémorable pendant une épreuve, pour prévenir que tel ou tel candidat avait expressément besoin d'une dérogation pour ne pas être exclu ou encore pour annoncer quels étaient les résultats, combien il y avait de blessés ou – plus rare – de morts.

Seul l'affrontement final se déroulait devant un public, même si celui-ci était plutôt restreint. C'était la raison pour laquelle les deux champions devaient normalement procéder à un tirage au sort pour déterminer à l'avance le lieu où se déroulerait leur duel. Ainsi, les « organisateurs » avaient le temps d'aller y installer quelques gradins où une centaine de privilégiés (également tirés au sort à parts égales dans les deux clans) pourraient s'asseoir pour profiter du spectacle. Il fallait également compter parmi ces spectateurs la famille proche, les Médiateurs, les membres du jury et les chefs de clan.

Après la « petite » démonstration de Teaghan et la punition qui avait suivi, le choix du terrain m'avait échu sans avoir besoin de passer par la case hasard. 

Or, après avoir vu une partie de ce dont elle était capable, je ne la sous-estimais absolument plus et j'avais donc fait preuve du pragmatisme de base en choisissant le lac et ses rives. À aucun moment je n'avais perdu ma certitude de gagner notre duel, mais je n'étais pas orgueilleux – ni stupide – au point de me tirer une balle dans le pied. Teaghan n'était pas une Draoid'hean ordinaire et mon instinct m'avait hurlé de ne surtout pas jouer au con avec mon ego surdimensionné. Je l'avais religieusement écouté. Après tout, mon instinct était une part de moi-même et comme toutes les parts de moi-même étaient exceptionnelles...

Tout ça pour dire qu'en guise de « quartiers » nous allions être les heureux occupants d'une minable dépendance collée au Vestiarum pendant deux jours. Composée de deux « chambres » (en réalité, deux couchettes installées à chaque extrémité de la pièce principale et dont un vulgaire rideau faisait office de porte), d'une « salle d'eau » (une bassine et des latrines dans une minuscule – mais vraie – pièce qui se fermait par une vraie porte) et d'une grande pièce commune dans laquelle se trouvait une table, deux chaises et une espèce de gros meuble en bois.

À notre arrivée, Teaghan s'était immédiatement dirigée vers sa couchette. Elle avait choisi celle munie d'une petite lucarne sans me demander mon avis. Je m'en voulais de ne pas avoir réagi assez rapidement pour pouvoir faire de même. Quand le Médiateur Scientek s'était éclipsé en nous souhaitant bonne chance – il avait ajouté un « bon courage » à mon intention en lançant un regard dédaigneux à mon adversaire qui lui tournait le dos – elle avait tiré le rideau pour se soustraire à ma vue. Sans doute pour pleurer tranquillement sur son sort de future morte.

Héritiers des Bannis - Tome 1 : Clans ennemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant