INTERLUDE

949 120 17
                                    

— Pourquoi tes congénères ont-ils donc peur de toi ?

Les mains croisées derrière le dos et la mine pensive, le colonel Rahman fit un pas en direction de la cellule, mélange d'acier inoxydable et de plastique transparent. Mélange de matériaux qui n'existaient pas à l'état naturel et que les Draoid'hean enfermés ici ne connaissaient pas vraiment. Ils ne pouvaient donc pas les manipuler aisément. Peut-être que s'ils prenaient le temps de les étudier et d'en extraire les composantes organiques de bases... 

Mais depuis qu'il travaillait ici, aucun des mages emprisonnés n'avaient cherché à s'enfuir. Au début, ils étaient trop abasourdis par cette captivité, trop terrifiés pour réfléchir. Et une fois qu'ils s'étaient faits à l'idée, ils étaient trop faibles pour utiliser ce qui leur restait de magie.

Le prisonnier à qui il s'adressait était-il différent des autres ?

Le colonel fit un pas de plus vers la cellule et fixa son attention sur le nouveau pensionnaire de cette unité. Assis par terre au fond de la pièce, le visage de l'homme était masqué par l'obscurité qui régnait dans la geôle. Rien ne prouvait qu'il ait entendu la question qui venait de lui être posée, ni qu'il ait l'intention d'y répondre.

Quelques minutes plus tôt, le colonel Rahman avait été appelé d'urgence par ses subalternes, car les deux autres Draoid'hean capturés en même temps que celui-ci avaient été pris d'une véritable crise d'hystérie quand on avait voulu les enfermer avec ce dernier.

Le colonel avait donc besoin de comprendre la cause d'une telle terreur.

Comme le prisonnier ne semblait pas d'humeur à coopérer, Brahman se saisit de la lampe torche qui pendait à sa ceinture et braqua le faisceau sur son visage. L'autre sursauta en sifflant et le colonel eut un mouvement de recul instinctif.

Parce que... qu'est-ce que c'était que ça ?

Brahman n'était pas particulièrement impressionnable, mais le Draoid'hean qui lui faisait face avait tout à voir avec un montre issu d'obscurs cauchemars. Ses yeux apparaissaient entièrement noirs dans ses orbites profondément creusées. Son visage émacié et rongé par une courte barbe avait la pâleur d'un cadavre. Sous sa peau fine, ses veines sombres ressortaient de façon choquante, créant un réseau ressemblant un peu à des toiles d'araignée. 

Pourquoi diable ses subalternes ne lui avaient-ils pas mentionné ces... particularités ? Et surtout, pourquoi  avaient-ils capturer un spécimen qui ressemblait à ça ?

Insensible à ces questionnements, le prisonnier retroussa ses lèvres couleur aubergine sur un rictus mauvais avant de se relever et d'avancer un peu plus dans la lumière.

Le colonel cligna plusieurs fois des yeux. Le masque de cauchemar avait disparu. L'homme qui se tenait en face de lui n'avait à présent plus rien de remarquable ni d'effrayant. Seul son regard paraissait encore un peu fou.

— Qui êtes-vous ?

Le prisonnier continua d'avancer, puis laissa échapper un éclat de rire de dément qui résonna étrangement dans cet environnement sinistre.

— Qui je suis ? croassa-t-il finalement d'une voix grinçante et haut-perchée.

Le colonel grimaça et vérifia machinalement que son arme automatique se trouvait bien dans son étui. Il n'était pas du genre à perdre facilement son sang-froid, mais il avait vu passer suffisamment de Draoid'hean entre ces murs pour ne pas sous-estimer la magie. Surtout une qui paraissait aussi malsaine que celle-ci.

— La question n'est pas de savoir qui je suis, mais plutôt qui est-Il ? ajouta-t-il de plus ne plus excité.

— Et qui est ce « Il » ? demanda posément le colonel. La deuxième personne qui vit dans votre tête ?

Les épaules du prisonnier fou tremblotèrent comme secoué par un rire silencieux, puis il se laissa tomber à genoux, son visage lever vers le plafond comme s'il s'agissait des cieux.

— Mon maître, Balor ! Tremble, vermine ! ajouta-t-il en braquant à nouveau ses yeux sur lui.

Le colonel n'avait encore jamais rencontré de Draoid'hean aliéné. C'était extrêmement déroutant.

— Il arrive ! hurla soudain le prisonnier en roulant des yeux fous. Je le sens dans l'air et dans le sang !

Il renifla comme un chien à la recherche d'une piste, puis se balança d'avant en arrière sur ses genoux.

— Toi aussi tu le sens, vermine humaine ? Tu n'es pas un Scientek, n'est-ce pas ?

Il regarda le colonel et éclata à nouveau de rire.

— Mais peu importe ce que tu es ! siffla-t-il la bave aux lèvres sans lui laisser le temps de lui répondre. Balor va tous vous exterminer ! Il sera libre et nous aussi !

Le corps du prisonnier commença à tressauter, secoué par un rire de plus en plus dément. Quand les tremblements se transformèrent en convulsions et que les veines noires refirent leur apparition dans ce visage de cauchemar, le colonel n'hésita pas. Il sortit l'arme de son étui et plaça le canon dans la seule ouverture de la cloison. Il tira trois coups. Un pour la tête, un pour le cœur et un au niveau des parties génitale – sa signature lorsqu'il devait exterminer l'un des membres des deux clans qu'il exécrait.

Le prisonnier le fixa avec ce qui ressemblait un peu à de la surprise avant de s'écrouler dans un dernier tressautement. Tandis qu'un mélange de sang noir et rouge s'écoulait des blessures et se répandait sur le sol, le colonel poussa un profond soupir et secoua la tête, contrarié d'avoir perdu un spécimen de cette façon.

Contrarié, aussi, de devoir lancer une recherche qui allait sans nulle doute lui faire perdre son temps. Mais il n'avait pas le choix. Il devait découvrir rapidement qui était ce Balor et ce qu'il manigançait. Car si les Draoid'hean et les Scienteks disparaissaient, c'était toute l'humanité qui risquait d'en faire les frais. Et il était hors de question que cela arrive sous son commandement.

Héritiers des Bannis - Tome 1 : Clans ennemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant