Chapitre 10 : Teaghan

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J'avais vraiment un sérieux problème. Comment était-il possible que je passe aussi vite de la colère à la fascination en ce qui concernait mon ressenti envers mon improbable colocataire ? 

Bon, le terme fascination était peut-être un peu fort, mais je devais bien avouer qu'une fois intégré son côté connard arrogant, je me laissais parfois distraire par d'autres aspects de sa personnalité. Comme son culot qui pouvait se révéler amusant. Outre ses innombrables défauts – dont le principal était d'être un Scientek – je devais donc reconnaître que Keir avait tout de même quelques qualités.

Contrairement à l'attirance physique que je ressentais pour lui, mais qu'en tant qu'être humain maître de ses pulsions je réussissais parfaitement à gérer, j'avais un peu de mal à ne pas être parfois – pas longtemps, peut-être une fraction de secondes de temps en temps – charmée par son assurance et son côté sale gosse sarcastique un tantinet attendrissant. Du moins, je savais que j'aurais pu trouver ces traits de caractère attendrissants si Keir était un mâle de mon clan. Ce qui n'était pas le cas, évidemment.

J'étais donc bien en train de développer une dérangeante schizophrénie le concernant. J'étais tout de même plutôt fière d'avoir retenu ce terme médical péché dans un bouquin volé aux Scienteks.

Tout ça pour dire que je haïssais viscéralement Keir, mais en même temps...

— À quoi tu penses ?

Je faillis recracher le morceau de tourte aux brocolis que j'étais en train de mâcher.

J'avais déjà parlé de la passion de mon clan pour tout ce qui était vert et comestible. Là, je devais bien avouer qu'ils s'étaient surpassés dans la thématique. Mon plateau ressemblait à un potager entouré d'un champ, d'une clairière et d'une forêt. À part ça... Keir venait-il vraiment de me demander à quoi je pensais ? Genre, comme dans une vraie conversation entre personnes qui se connaissaient et qui papotaient tranquillement en prenant leur repas ?

Je pris une gorgée de mon jus vert qui était composé – j'en aurais mis ma main à couper – de concombre, céleri, pomme verte, épinard et persil, et réfléchis à la question. Pas à celle qu'il venait de me poser (comme si je pouvais lui répondre que le « quoi » auquel je pensais était en fait un « qui » et que ce « qui » était lui), mais plutôt au pourquoi du comment il en était venu à me poser une telle question anodine, mais qui n'était pas vraiment anodine étant donné notre relation.

Alors oui, la schizophrénie n'était pas la seule maladie qui me guettait puisque je développais aussi la manie de me parler à moi-même pour ne rien dire et de radoter. Je ne savais pas si les anciens humains avaient trouvé un nom pour désigner ce type de pathologie. Je ne me rappelais pas de tout ce que j'avais lu dans ce bouquin. C'était celui qui m'aidait à m'endormir lorsque je souffrais d'insomnies. Le genre de livre intéressant, mais barbant.

Donc... qu'est-ce que je disais ? Ah oui. Existait-il un nom pour ma nouvelle maladie ?

La procrastination mentale, peut-être ? Ça sonnait plutôt bien. Même si... pas vraiment.

Argh... vous voyez ?

Pour en revenir à ce qui m'intéressait, pourquoi diable Keir se mettait-il à se comporter de façon civilisée avec moi ? C'était... flippant.

Bien sûr, j'avais plusieurs hypothèses.

La première : peut-être pensait-il que nous avions partagé un moment de complicité face aux deux Médiateurs fous de tout à l'heure ? Je ne savais pas vraiment comment il en serait venu à s'imaginer ça, mais je trouvais cette théorie assez probable.

Héritiers des Bannis - Tome 1 : Clans ennemisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant