La panthère perdue

jour 8 : sur le départ

Je range mes livres dans mon casier exigue au profit de mes rollers rouge et blanc. Je les adore. Ils pourraient m'emmener au bout du monde si je le voulais. Élise m'attend tranquillement adossée au mur d'armoires métalliques près de moi et jette un oeil sur mes précieuses roulettes.

- ils sont trop beaux, j'avais presque les mêmes quand j'étais petite. Je les adorais, j'en faisais tout le temps.
- ah oui? Tu pourrais les reprendre et on viendrait ensemble au bahut?
- je suis nettement moins douée que toi, j'me ferai buter au premier carrefour, de toute façon ma mère me les a confisqué il y a longtemps, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus.
- demande lui, elle a dû les planquer quelque part pour pas que tu les trouve et elle les a oublié, Non?
- tu connais pas ma mère! Elle les a sûrement fait brûler. Elle avait tellement peur que je ne me blesse.
- elle est chelou ta mère, c'est en se blessant qu'on apprend à guérir, en tombant qu'on apprend à se relever.
- ouais mais en mourrant t'apprends quoi?

Je regarde la meilleure amie que j'ai eu depuis des lustres. A bien y réfléchir je n'ai jamais eu de véritable amie fille comme elle, encore moins une opaque. Elle fixe le sol, perdue dans ses pensées.
Je m'adosse à ses côtés en enfilant mes patins, je préfère les mettre ici même si on m'a déjà fait remarquer que c'était interdit.

- vous avez un problème avec la mort dans votre famille ou quoi? On meurt pas si facilement quand même!
- la soeur de ma mère s'est noyée quand elle avait 12ans, elle s'est cognée la tête en glissant sur un rocher au bord de la rivière de Trinity et elle est tombée dans l'eau. Le courant l'a emportée sous les yeux de ma mère. Elle avait 16ans. Mes grands parents n'ont jamais vraiment pardonné à ma mère d'avoir mal surveillé sa soeur. Je crois que ma mère se fait un devoir de veiller sur moi envers et contre tous. Depuis que je suis bébé, elle ne me lache pas d'une semelle. Je suis sa phobie, sa mission,un truc comme ça...
- son purgatoire. Ma pauvre ça doit être horrible à supporter d'avoir toujours quelqu'un sur le dos. Moi je suis libre depuis tellement longtemps que je ne me rappelle même plus la dernière fois qu'on m'a engueulé. Ça me manque parfois.
- tes parents, ils sont où ?
- ma mère est morte et mon père a beaucoup de travail loin d'ici. Ma tante et son mari sont ma seule famille dans le coin.
- c'est nul! J'suis désolée.
- faut pas! C'est la vie et puis...j'ai des supers potes ici maintenant.

Je lui donne un petit coup de coude dans les côtes et elle rigole.

- ouais! On forme un drôle de groupe tout les 4!
- vous êtes trop cool tu veux dire!
- c'est marrant parce que ce n'est pas du tout l'image qu'on avait de nous ici avant, dit elle en riant
- c'est parce que ceux qui parlent le plus fort sont tous des abrutis dans ce bled. Focalise toi sur les silencieux, les discrets, ce sont eux qui ont le plus de choses intéressantes à dire.
- tu as raison, comme toujours. Mais Adrian? C'est pas vraiment un discret comme mec!
- grave, il pourrait vendre du poisson sur la place du marché ce mec!

Nous rions comme deux gamines alors que je me baisse pour finir mon lacet gauche.

- mais il est cool quand même, ajouté je après après avoir repris mon souffle
- J'aurais jamais pensé dire ça un jour mais c'est pas faux. Adrian est plutôt cool. Et il est en kiff total sur toi, alors ses potes et lui sont de vrais agneaux depuis ton arrivée.
- il n'est pas en kiff total!
- bien sûr que si et fais pas semblant de ne pas savoir. Il te drague ouvertement.

Barbie passe justement sous nos yeux à l'instant même. Je l'observe simplement, comme si je la jugeais des pieds à la tête. Elle me lance un regard impertinent et remue sa crinière blonde d'un mouvement de la nuque.

- ce qui doit bien énerver miss Barbie ici présente, si tu veux mon avis. Fais attention, elle te prépare peut être un sale coup, c'est une pro, continu Eli
- alors là, je peux te dire que je n'en ai absolument rien à cirer de cette meuf.