La panthère perdue

jour 30 : on the road

Le paysage défile sous mon nez alors que la fraîcheur de la vitre me relaxe la tempe. La main de Cash caresse ma cuisse nonchalamment. Les plateaux de cultures céréalières se raréfient pour laisser place à de vastes étendues de forêts aérées. Et l'odeur doucereuse de la végétation humidifiée par la rosée du soir me chatouille les narines. Le soleil décline lentement derrière la cime des immenses peupliers qui bornent les derniers carrés de pâture.

Je repasse le fil des deux jours qui viennent de s'écouler et soupire de soulagement.
Je rentre à la maison.
Et Cash est avec moi.
Je vais retrouver mon père, Hayden et tous les autres de mon clan. Mon territoire. Ma vie de Panthère.
J'ai hâte et j'ai peur un peu aussi.
Apporter un élément nouveau dans ce décor bien huilé ne faisait pas parti du plan de base.
Mais les règles sont faites pour être contournées parfois! Et je n'imagine Cash nulle part ailleurs que près de moi.

Nous sommes passés chez lui, prendre des affaires, en ignorant les appels de son père. Sûrement furieux de laisser son fils voler de ses propres ailes.
Nous avons fais l'amour dans son petit lit inconfortable. Ce n'était pas le lieu ni le moment mais le désir était trop fort. Nous n'avons pas eu d'autres choix que d'y succomber. Et encore une fois nous avons inondé la pièce de cette énergie incroyablement puissante capable de casser le mobilier. Ensuite il a pris quelques affaires, une ou deux armes, de l'argent qu'il avait caché dans une latte de son parquet en bois terne et des photos de sa mère et de sa soeur.
Il n'a pas douté, à peine cligné des yeux. Il n'a pas hésité à refermer la porte.

Nous avons dit aurevoir à ma tante et ce fut un véritable crève coeur de voir les larmes lui couvrir le bulbe oculaire. Théo n'a pas beaucoup pleuré. Et tant mieux. J'aurais eu encore plus de mal si son désespoir de petit garçon avait envahi mon coeur. Christa m'a serré fort, de tout ses bras, me murmurant de belles choses à l'oreille. Elle a salué Cash qu'elle voyait pour la première fois et qui pourtant lui semblait familier.
"C'est pour lui que tu es venue ici. Ta mère savait que c'était ton destin. Si seulement elle m'en avait dit plus."
Même Juan a eu l'air peiné de me dire adieu. Je leur ai demandé de rester à l'abri quelques temps, juste assez pour laisser les choses se calmer un peu. Les quitter me brise le coeur, pour de vrai, mais je savais que je ne finirai pas mes jours ici. L'idée n'était pas de m'installer. Ils le savaient bien eux aussi. Mais la douleur n'en ai pas moins vive. Et la couleur sombre et humide de leurs yeux lorsque la voiture à démarré et tourné à l'angle de l'allée en impasse, cachée par les arbres, me hantera longtemps.
Je la vois chaque soir depuis.

Je n'imaginais pas partir sans dire au revoir à mes amis. Sans leur dire que je vais bien et qu'ils ne doivent pas s'en faire pour moi. Mais après les événements au bahut, les parents étaient encore sous le choc et les enfants sous haute surveillance. Il y a eu un couvre feu et des patrouilles de parents. La police me cherche activement même s'ils savent que je n'ai fais que me défendre. Les élèves ont témoigné pour moi mais j'ai tué des gens, c'est assez pour ratisser le territoire. Les Rangers feront en sorte que l'on m'oublie vite. Je fais confiance au père de Cash pour rétablir la paix et l'harmonie au plus vite.
Toujours est-il que je n'ai pas pu voir Élise.
Son père l'ayant emmenée très loin pour la protéger de cette folie. Il a peur des représailles. Il a raison, je ne peux pas lui en vouloir. Nous nous sommes donc fais nos adieux au téléphone, rapidement et sans fioritures. Juste comme ça, les sanglots dans sa voix étaient trop forts pour qu'elle puisse parler. J'ai mal au ventre depuis. Eli est la seule amie fille que j'ai jamais vraiment eu et notre complicité va énormément me manquer. Elle va me manquer plus qu'elle ne le pense et je suis déjà nostalgique de nos moments passés à rire ensemble des vêtements débraillés de Davis ou de l'air ridicule de Barbie. Tout mon réservoir d'innocence parti en fumée.

Ça y est, une larme coule sur ma joue. Limpide et timide. Désolée d'être là sur ma peau. J'ai serré Calvin et Davis dans mes bras aussi fort que possible et je sais que je leur ai fais mal mais ils n'ont rien dit, par fierté de mecs sans doute. Ils m'ont regardé comme si j'étais une déesse ou un truc comme ça. C'est mignon même si c'est faux. Ils vont me manquer eux aussi avec leur humour tranchant et leur clairvoyance. J'ai aimé chacun des moments que j'ai passé en leur compagnie. Et je ne peux pas en dire autant de tout le monde.