jour 48 : prisonnière

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- donne moi ça, Ramon, allez! Crié-je en lui balançant un trognon de pomme.
- tu ne gagneras pas, je te dis, pas cette fois!
- tu vas le regretter. Papa! Crié-je à tue tête, je veux Ramon pour mon entraînement de demain.
- il a d'autres choses à faire, me répond joyeusement mon père depuis son bureau dans lequel il se terre depuis ce matin.
- de toute façon je ne me bats pas avec les petites filles, ricane t-il en m'aspergeant d'eau avec ses doigts.
- bien sûr, elles pourraient te battre, ça serait dur à gérer pour ton égo.

Ramon me jette un regard noir, mauvais mais amusé à la fois. Il a beaucoup changé depuis mon départ, passant de l'ado bagayant à un jeune homme séduisant et fougueux. En plus d'être drôle, Ramon maîtrise aussi les gadgets et autres installations informatiques sur le bout des doigts, c'est un faux geek mais sa passion cachée, je le sais, ce sont les plantes. Nos massifs de fleurs n'ont jamais été aussi beaux que depuis qu'il remplace le vieux Gabe au jardin. J'ai passé plusieurs jours à l'observer dans sa salopette sale à moitié ouverte, les cheveux en bataille. Sa nonchalance me rappelle Cash dont nous n'avons absolument aucune nouvelle. Comme s'il n'avait jamais existé ailleurs que dans ma tête.

Ramon se racle la gorge en me fixant toujours. Il s'enfonce dans son siège et croise les mains.

- à quoi tu penses?
- à la branlée que je vais te mettre aux gants la prochaine fois.

Ma remarque provoque des rires de partout dans la grande cuisine de la maison. Il sourit et secoue négativement la tête.

- je n'ai pas peur de toi, Princesse.

Sans le savoir il vient de m'envoyer une éternité en arrière, à ce jour où j'ai foulé l'entrée du bahut en pierre de Trinity, à Adrian et son sourire ravageur, à Cash et notre première dispute dans sa voiture, le soir de notre premier baiser.
Sur le coup de la surprise, stupéfaite, je ne trouve pas les mots. Ils restent bloqués dans ma gorge par une boule gluante de nostalgie et de colère.
Il doit sentir mon trouble car son regard change, il s'inquiète probablement de voir mes yeux devenir sombres et humides.
Je détourne le regard.
Pas prête à en découdre, trop chamboulée.
Cette nuit j'ai rêvé d'Eli et elle me manque terriblement, il ne peut pas le savoir mais sa remarque fait tomber une grosse barrière en moi. Je me sens faible.

- Hey, dit-il tout bas, c'était une blague, en vrai tu me fais grave flipper.

Je souris mais le coeur n'y est plus. Je me lève et me dirige vers ma chambre, suivie du regard par les membres du clan en train de manger un morceau entre deux rondes. Ramon fait mine de se lever.

- c'est bon je vais juste dans ma chambre, je vais pas fuguer!

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et monte les escaliers quatre à quatre.
Depuis ma discussion avec mon père, il a réduit ma protection à Hayden et Ramon et c'est bien assez pour le peu d'activités extérieures que j'ai.
Mon père a peur que je me sauve, que je cherche Cash.
A vrai dire, je ne cherche plus rien du tout, résignée, j'ai compris que ma vie, mon passé et mon futur, était ici, avec ma famille.
Et si au début, avoir des gardes du corps me saoulait totalement, j'admets volontiers qu'avoir Hayd et Ramon à mes côtés m'a fait beaucoup de bien. Avec eux, j'ai oublié un instant que j'étais partie il y a un an, que j'avais vécue une histoire absolument torride et dévastatrice.
Avec eux, j'ai retrouvé un peu de paix et de légèreté.

J'ouvre la porte, ma chambre a toujours la même odeur oatée, la même couleur douce et claire. Elle est identique à quand je suis partie et pourtant le reflet dans le miroir de la penderie en vieux chêne est différent aujourd'hui. Je caresse le dessin du bois sur le montant du meuble en écoutant les bruits du dehors.
Tout autour de la maison, les Panthères ont élu domicile. Nous n'avions pas là place de tous les loger alors notre immense jardin est devenu un énorme terrain de camping, au grand désespoir de Ramon qui s'obstine à entretenir les plantes tous les matins malgré le désintérêt certains de nos membres.
Des centaines de tentes multicolores pullulent sur notre terrain comme une armée de fourmis. Parfois, la nuit, je les entends ronfler, J'entends le bruit de leur matelas gonflable quand ils se retournent, je les sens transpirer dans leur sommeil.
Leur présence me rassure, d'une certaine façon, même si je me sens prisonnière de cette barrière de toiles colorées, tout comme je me sens prisonnière de mes pensées qui me ramène toujours, inlassablement, en arrière.
Je soupire en entendant ma porte s'ouvrir doucement.

La panthère perdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant