jour 28 : farces et attrapes

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Je regarde le pouce de Cash dessiner des cercles sur le dos de ma main. Je regarde les phalanges sèches et les ongles carrés. La pulpe de son doigt s'étale sur ma peau vibrante avec lenteur, par plaisir. Les cercles sont irréguliers, doux, un effleurement de sensations électriques à la surface réceptive de ma main.
Le geste se fait soudain plus lourd, plus appuyé, réfléchi. Les cercles deviennent parfaits et m'hypnotisent de rondeur, m'enivrant totalement lorsque le pouce passe sur le poignet.

Cash bouge alors brusquement me faisant sursauter.

- arrête de faire ça, me chuchote t-il à l'oreille,
- quoi? lui demandé-je en rejetant la tête en arrière sur son torse chaud et doux.
- triper! Arrête ça tout de suite.

J'explose de rire tellement il voit juste. Mon éclat de voix se dilate dans tout le couloir sur les visages de nos spectateurs habituels.
Adeline m'observe du coin de l'oeil avec un profond agacement.
Je ne ris plus.
Elle ne me déteste pas, non, mais elle ne m'aime pas non plus. La rancoeur qui explose dans ses yeux en est la preuve. Je lui ai pris son seul espoir. La seule personne pour laquelle elle était autre chose qu'une névrosée en noir, même si ce n'était que pour le sexe, au moins avait-elle un prétendant. Adeline est un cliché, elle le sera probablement jusqu'à ce que la femme en elle émerge. Mais pour l'instant, elle est cette adolescente mal à l'aise dans la vie et Cash était son seul réconfort. Un leurre. Elle le sait mais elle s'en foutait tant que c'était comme ça dans l'ordre des choses. Aujourd'hui je suis là et tout a changé pour elle. Elle est redevenue invisible derrière l'attirail de protection noir corbeau. Cash ne la voit plus. Et elle est dégoutée.
Je la comprends.
Mais je n'en ai rien à foutre.
Blottie dans les bras de Cash, le dos contre son torse, je me félicite déjà de supporter sa présence à nos côtés.
J'aurais pû lui lacérer la gorge avec mes griffes pour faire valoir ma suprématie et gagner mon trophée. Elle a de la chance.
Elle n'en aura plus très longtemps si elle s'obstine à tourner autour de mon mec avec ses yeux de chiot maltraité.

Cash resserre son étreinte autour de moi, pour calmer la menace qu'il sent gronder doucement dans ma gorge et continue sa discussion avec Manel dont je découvre l'étonnant flegme en toutes circonstances. Les deux amis de Cash s'avèrent être aussi froids que stoïques. Ils ne m'aiment pas non plus mais ils me tolèrent. Ils n'ont pas le choix.
Eli est à côté de moi, impressionnée d'être au coeur d'un groupe dont elle n'avait quasiment jamais entendu les voix avant mon arrivée.
Elle me parle d'un film qu'elle a regardé avec Calvin la veille. Davis ricane et se moque de sa mièvrerie. Je souris moi aussi. J'ai jamais aimé les films trop romantiques. Pas assez crédibles, trop stéréotypés.
Mais j'ai bien conscience d'avoir l'air complètement fleur bleue en ce moment alors je ne la ramène pas trop. Le tacle serait facile.

Je me sens bien. Comme complète, là, enroulée par Cash, à côté de mes amis. Acceptée par eux pour ce que je suis vraiment, crainte et enviée par les autres comme une énigme divine. J'aime ce sentiment d'être une privilégiée. Je jubile de mon bonheur. Il ne me manque rien.

La petite baston de regard gagnée, évidemment, contre Adeline, m'a enorgueillie. Et un sourire satisfait trône sur ma bouche, bercée par la voix grave et sourde de Cash, pelotonnée contre lui.
La pause de midi est bientôt terminée, j'ai déjà envie de dormir à l'idée du cours de géographie.

Soudain, une silhouette apparaît sur notre gauche, jaillissant comme une poupée à ressort. Instinctivement je me redresse vers elle, alertée par son pas décidé. Un homme que je ne connais pas mais à l'air familier se plante devant nous. Attirant l'attention de tout le couloir.
Je sens Cash se raidir. Je n'aime pas vraiment ça.

- Papa? S'exclame Eli en écarquillant les yeux.
- Élise, tu es là, je suis venu te chercher, il faut qu'on rentre, dit-il rapidement
- quoi? Mais j'ai cours, je ne peux pas partir!
- j'expliquerai ça au proviseur, c'est pas grave, viens, on a pas beaucoup de temps.

La panthère perdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant