jour 27 : Hayden

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Allongé sur mon lit ultra confortable je caresse les motifs en relief du dernier tatouage que je me suis fait faire sur l'avant bras. Il déchire carrément! Du bout de mon index, je survole les traits fins et les arrondis représentant le visage d'une femme. Une belle femme. Je ne voulais pas d'une moche sur ma peau alors j'ai choisi un visage connu. Le plus beau de tous les visages. Celui de ma moitié. Laena.

Ma soeur. La grande et la petite. Celle qui vous emmerde, qui vous protège, qui vous regarde avec objectivité. Toujours. Mais avec amour aussi. Toujours. Même quand vous faites de la grosse merde.

Reliés par le fil tenace qu'est la vie, rien ne peut nous séparer, pas même la distance pourrie que son père a mise entre elle et nous. Elle est dans ma peau. Littéralement.
Son absence me fait suffoquer chaque matin même si l'énergie que nous déployons à manoeuvrer pour la ramener ici remplie bien mes journées.

J'allume une cigarette et change la musique du lecteur à distance. Je me demande ce que je vais pouvoir faire de plus pour accélérer son retour.
J'ai fouiné, donné quelques baffes, filé plusieurs billets, j'ai lu des dizaines de pages du journal de la mère de Laena ce qui est plus en 2 semaines que dans ma vie toute entière, j'ai vraiment tout essayé.
J'ai pas appris grand chose si ce n'est que personne ne sait vraiment qui est Laena.
La vieille bique qui habite dans sa grotte à flanc de montagne ne voudra parler qu'à elle, j'en suis sûr et encore faut-il que nous la trouvions.
Je suis fatigué d'user mes grolles à ratisser la terre entière, crevé de poser des questions futiles pour tirer les verres du nez à des gens qui ne comprennent rien.
Je tourne en rond.

Miguel ne me lâche pas pour négocier avec ces connards de corneilles. Il sait que j'ai mes entrées. Mais je dois y aller doucement pour ne pas me griller.
Il faut dire que personne ne veut affronter les Raks. Personne ne veut affronter leur chef suprême complètement taré. Salomon.
Depuis que Laena a décapité un de leurs sbires planqué dans les montagnes et que le soleil l'a illuminée, ils sont tous fous. Elle est devenue la cible à abattre, par vengeance pour les uns et par protection de leur petit ordre établi pour les autres.
Ne surtout pas déséquilibrer le cosmos quand on est bien installé sur une paillasse en or.

J'écrase la quinzième clope de la journée dans le boîtier vide d'un vieux CD de mon père. Je ne me souviens pas d'avoir écouté ce truc mais mon père garde plein de vieilleries et ça me sert bien quand j'ai la flemme de bouger mon cul.
Laena ralerait si elle voyait l'état de ma piaule. Elle grognerait aussi de savoir que j'ai encore couché avec la douce Candice un peu plus tôt dans la journée. Je l'aime bien Candice, elle est cool et pas prise de tête. Et elle est clairement canon. Lae la trouve conne. C'est vrai qu'elle n'inventera jamais de vaccin!
Lae n'a jamais aimé beaucoup les filles. Surtout les filles comme Candice. Celles qui passent et qu'on oublie vite.

Laena me gueulerait dessus c'est certain. Je souris.
J'aimerais tellement ça.
Mais sa voix lors de notre derniere  conversation me laisse perplexe. Elle est en train de péter un câble. C'est évident. Et j'ai rien compris de ce qu'elle m'a raconté, comme souvent d'ailleurs, mais ça sentait pas bon. Je le sens. Je me demande si je dois en parler à son père.
Il s'inquièterait.
A quoi bon?
Que dois je faire?
La seule personne capable de m'aider est à des milliers de kilomètres d'ici et ne doit surtout pas revenir.
Si Laena revient, Salomon la fera tuer.
Nous avons besoin des autres gangs en renfort pour avoir une chance de gagner la guerre.
Mais aucun ne veut se battre contre les Raks.
On a beau être des fous on est pas suicidaires! Ça se tient!

On tourne en rond.
Heureusement que ma chérie est loin, chez les bouseux du bout du monde dont tout le monde se fout royalement. Heureusement qu'elle ignore à quel point on patauge dans la semoule.
Les pots de vin, les menaces, les coups de pressions, rien n'a fonctionné pour motiver les troupes et si nous regroupions toutes les Panthères nous risquerions de provoquer notre propre extinction, si nous perdions.
"Inextricable" a dit Miguel avant-hier.
Le pauvre...sa fille unique en danger...c'est trop pour lui.
C'est trop pour moi aussi.

J'ai mal à l'épaule après le combat que j'ai encore perdu il y a deux jours. Je suis une merde ces derniers temps. Pas assez d'action et mes entraînements ne sont plus ce qu'ils étaient sans Laena. Il faut que je me reprenne. C'est pas bon de se laisser aller.
J'envoie un message à Ryan, le bookmaker de l'OtherSide, pour qu'il m'organise une petite rencontre avec un adversaire accessible. Histoire de gagner un peu de fric et d'évacuer cette rage malsaine qui gronde dans chacun des muscles de mon corps. Surtout dans mes bras.
Mes bras sont en manque de baston. Tout est anormalement calme ces derniers temps. On parle du calme avant la tempête mais pas assez de celui après.
Après le déluge on compte ses morts dans une sorte de fatigue apathique, en silence, en murmurant pour reprendre tranquillement nos esprits, on sombre dans une phase de décompression inquantifiable en attendant le regain d'énergie qui nous remettra en selle.

J'attends cette vague là, celle qui me redonnera l'envie de me lever le matin.

"Pas de combat ce soir. C'est désert en ce moment"

Le sms de Ryan me tire de ma léthargie et provoque une grimace de dégoût. Merde! J'aurais voulu casser du nez, sentir la rage gronder dans ma poitrine après avoir pris un coup en pleine gueule. J'essaye d'insister.

"Fais chier! T'es sûr? Pas moyen de trouver quelqu'un?"
"Les oiseaux ont déserté le nid"

Cette fois, je comprends qu'il se trame un truc. Un pressentiment illogique et tenace que quelque chose cloche. Ryan ne dit jamais non sans avoir une bonne raison.

"Tous?"
"Non mais assez"

Je me lève d'un bond.
Assez pour quoi?
Sur mes deux pieds ancrés dans le sol, droit sur mes jambes soudain dures comme la pierre, je ferme les yeux.
Laena dit toujours que quand le doute s'installe il faut l'écouter. Prendre le temps d'entendre d'où il vient et où il va. Je me fous d'elle quand elle a ses réflexions philosophiques de gourous mais je sais qu'elle a raison.
Et si j'écoute mon doute, il me crie de courir.

La panthère perdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant