La panthère perdue

jour 23 : aujourd'hui tout commence

Assis sur le muret qui sépare la pelouse du couloir vouté, Davis me raconte avec fougue l'histoire sensationnelle de la dernière série à la mode. J'essaye de me concentrer sur ses lunettes rondes et son polo vert pomme mais...mon esprit est ailleurs.
Calvin dessine un croquis étrange sur un calepin en cuir et Eli, le dos appuyé contre une magnifique colonne enroulée de lierre, semble presque dormir malgré quelques hochements de tête pour appuyer l'histoire invraisemblable et fantastique que j'entends.
Ils sont là, devant moi. Assis face au monde, insouciants et chanceux.
Je les envie tellement de n'avoir rien d'autre en tête que le lendemain.
Les études, les parents, la pluie et le beau temps.
Je suis fatiguée de cette sensation étouffante dans ma poitrine. Usée.
Cette nuit j'ai rêvé que je rentrais chez moi malgré mon exil, malgré mon père, malgré le danger, et mon réveil à été très douloureux.
Plus encore que le sentiment d'avoir été abandonnée par le seul garçon en qui j'ai eu assez confiance, hormis Hayden.

Je devrais partir.
Fuir cet endroit maudit.
Redevenir moi. Panthère.
Mais je suis perdue dans un labyrinthe et je ne retrouve plus le chemin.
Je croise sans cesse le regard triste et désolé d'Adrian.
Honte et frustration.

C'est étrange...je ne lui en veux même plus. Ce qu'il m'a fait n'est rien du tout comparé à ce que Cash me fait subir en ayant disparu brutalement et je ne peux pas occulter le fait que ses sentiments étaient et sont toujours profonds à mon égard.
Mais, jamais de la vie je ne retournerai vers lui. Honte à moi et à mon nom si je commettais une telle erreur. Plutôt m'ouvrir les veines.
Tiens tiens....c'est une idée ça !

Je ricane en pensant à mon corps se vidant de tout son sang dans un silence assourdissant. Davis sourit, pensant sûrement que je réagis à son flot de parole. Peu importe.
Le ciel est lumineux et l'odeur sucrée des arbres fruitiers de la cour pavée derrière le bâtiment parvient jusqu'à moi.
Tout comme le regard violent de Manel. Un des sbires de Cash.

A chaque fois que je croise ce type, il me foudroye sur place avec une farouche envie de me buter. Je ne sais pas pourquoi et je ne peux pas lui demander. Sa réponse pourrait me coûter cher. Selon ce qu'il sait je devrais prendre une décision et je ne suis pas sûre de le vouloir.
Pas encore.
Évidemment je ne baisse pas les yeux, plus maintenant. Et s'il résiste quelques secondes, il ne tarde pas à regarder ailleurs en soupirant comme s'il me faisait une faveur. Petit moucheron!

Nous ne sommes que mardi et j'ai déjà envie de dormir tout le week-end. J'ai décidé, je ne sors plus, je ne bois plus, je ne parle à personne d'autres qu'aux trois ou quatre gus que je connais déjà et je rentre direct chez moi après l'école.
Zéro risque.
Zéro défaut.
Contrôle total.

La lumière du soleil décline  légèrement au fur et à mesure que le débit de parole de Davis ralentit. Il s'immobilise tout à fait quand je sens Adrian se poser sur ma gauche. Je soupire en baissant la tête.
Peut-on vraiment être aussi désespéré que ça?

- salut les gars, lance t'il sans y croire

Personne ne lui répond.
Il se tourne vers moi.

- je peux te parler?
- j'ai pas envie de te parler, laisse tomber Adrian.
- il faut que je te parle. Juste une seconde et après c'est fini. Promis.

Je le suis sur quelques mètres après une courte hésitation et m'adosse au mur de casiers en face du muret.
Mes amis m'observent attentivement.
Je croise les bras. Pourquoi ne pas écouter ce qu'il a à dire après tout? Moi Cash ne m'a pas laissé cette chance dernièrement.

- je voulais juste te dire...pardon. Voilà c'est tout. J'ai pas d'excuses pour ce que j'ai fais et pour ce que j'ai dis après non plus. C'était nul et incompréhensible et...faux. Tout ce que j'ai dis c'était n'importe quoi.
- ok. Merci pour tes excuses.
- ok.
- cool. A plus, dis-je simplement en faisant mine de m'en aller.
- je sais que je ne pourrai jamais rattraper le coup avec toi, hein? Mais on pourrait peut être éviter de s'ignorer quand on se croise. J'ai pas envie de t'ignorer, Laena.
- écoute Adrian, pour l'instant...