La panthère perdue

jour 37 : passage secret

Cachés derrière une poubelle puante de diverses substances dégueulasses, nous attendons de voir si le passage est surveillé ou non.
Je sens qu'il l'est.
Mais je n'ai plus le choix. On ne peut plus faire marche arrière, c'est l'adrénaline dans mon épine dorsale qui me l'indique.

Depuis presque trois heures de planque, nous n'avons rien remarqué d'autre que les allers retours des cuisiniers de la vieille pizzeria qui viennent jeter leur détritus dans les poubelles, entre deux poses clope.
Ce resto n'est clairement pas le plus chic de la ville! Mes narines ne sont pas sous le charme.

L'homme qui gère cet établissement est plus un veilleur de nuit qu'un cordon bleu. Antony est ici depuis la nuit des temps, gardien des entrées et sorties entre les deux mondes. Il est le lien, le passeur. Antony est un ancien meurtrier repenti, chassé de l'OtherSide, où il a tenté de faire la loi après avoir fuit la justice d'Atalone. Il a tenté en vain, face aux chefs des gangs du territoire caché, il n'avait aucune chance. Mais, après avoir purgé une courte peine de prison, il a trouvé sa rédemption, préférant protéger l'entrée de l'OtherSide avec sa piètre couverture.
Tout le monde connaît Antony de l'autre côté.
A Atalone, la plupart des gens, ceux qui cravachent jour et nuit pour un salaire moyen et un appart correctement insonorisé, ignorent tout de lui et du monde qu'il protège. Les autres, les plus curieux, les plus ouverts ou les plus sombres, savent que cet homme est à la fois, la vue et l'ouïe de deux univers opposés.
Un sage au passé trouble qu'il vaut mieux éviter de froisser. Un sage sans âge.

Je l'ai déjà vu, une fois, lors d'une escapade entre ami où nous avions décidé de nous amuser un peu loin de nos familles surprotectrices.
Antony nous avait sermonné viruleusement devant notre état d'ébriété pitoyable lorsque nous avions voulu rentrer. Il était beau, grand et vieux. Impressionnant dans mon regard de jeune fille à peine sorti du nid.
Aujourd'hui, cette époque me semble n'être qu'illusion, une farce de mon cerveau. Je n'ai plus rien de cette enfant et cette pizzeria n'est plus la tour de garde impériale et redoutable qu'elle me semblait être alors.
Bien que très haute de 17 étages, elle semble chevrottante, pliée sous le poid des années, presque grise.

Mais je ne doute pas que son éveil est constant, même vieillarde, la tour blanche connaît son travail et ses fenêtres ne sont jamais tout à fait closes.

Cash s'allume une cigarette à mes côtés, je lui assène un coup de coude dans le flanc.

- mais qu'est ce que tu fous? Crie t'il à demi voix en se tenant le bide.
- toi, qu'est-ce que tu fous? Tu veux qu'on se fasse repérer ou quoi? Éteins moi ça bordel!
- tu commences à me donner des ordres ou je rêve ?
- ferme la et éteins, merde.
- il n'y a rien à espionner ici, putain. On perd notre temps, on devrait retourner à la voiture et passer cette foutue rue, normal, sans pression.
- je te dis qu'il faut attendre, cette tour surveille tout et je n'ai pas confiance en son gardien. S'il nous balance, on est morts en moins de 20min. Ta caisse ne tiendra pas la distance face aux motos des Raks.
- règle n°1: ne jamais remettre en question les capacités de ma voiture et, règle n°2 : tu ne me donnes pas d'ordre. Non mais dans quel monde tu crois...
- chut, regarde.

Je l'interromps dans son épuisante tirade d'un geste de l'index. Une lumière violette s'allume juste au dessus de la chaussée, à côté de l'imposante bâtisse.

- qu'est ce que c'est que ce truc? Demande Cash tout bas
- c'est un véhicule qui arrive, une moto je pense.
- mais, c'est juste un point lumineux! Il n'y a pas de ...

A quelques mètres de nous, la moto à 3 roues se matérialise dans un nuage de points lumineux violets et passe son chemin toute tranquille, sereine, avec presque un clin d'oeil en notre direction. Le conducteur porte une clope au bec et de grosses lunettes rondes. Un voyageur, rien de plus.
Je soupire en me tournant, dos contre la poubelle.