I

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Le crépuscule était venu depuis un certain moment et Elhadj Boubacar n'avait pas bougé de sa place, attendant qu'on vienne lui annoncer la bonne nouvelle. La prière peut attendre, se disait-il espérant quand même au fond de lui que Dieu le pardonne pour son retard.
L'ombre dansante des cases annonçait l'arrivée de la nuit. Le village était plongé dans un calme inquiétant, certains priaient à la mosquée ou chez eux et d'autres parmi les quels les femmes nobles du village, préparaient ou revenaient du champ après une longue journée de labeur.
Les coqs de la concession de Elhadj Boubacar était plus tranquille aujourd'hui que les autres jours, comme si ils se doutaient de ce qui se passait dans la cour d'en face, les animaux aussi ont l'œil observateur surtout l'instinct comme les êtres humains et peut être qu'ils se doutent de quelque chose.
Seuls les bruits des feuilles des arbres causé par le vent qui souffle, ou celui des calebasses qui échappaient accidentellement de la main de Nagnouma, causé par son stresse, troublait ce lourd silence.
Par contre dans la petite case étroite de Mère Malado c'était tout le contraire.
Là bas une femme allongée sur une natte en sueur et pleure, entourée des vieilles dames du village quatre précisément, les sorcières, c'est comme ça qu'on les appelaient ici, dû à leurs avancés d'âges ou leurs connaissances sur tout. Ce petit surnom les déplaisaient mais elles ne pourraient l'interdire, ce surnom vient de leur petit fils, et eux aussi un jour ont appelés les vieilles de karan, un petit village du cercle de kakanba, comme ça. Aucune femme qui dépasse ses 80 ans ne pourrait être sauver de cette tradition, quant aux hommes, heureusement, qu'ils vivent cent ou deux cent ans n'auront jamais des petits surnoms collés aux dos, en tout cas pas en leur connaissance. Malado, la plus vieille et plus savante d'entre elles, mélangeait les feuille des arbres rares, pour ensuite en faire avaler à Maïmouna et masser le reste sur son ventre, petite recette que sa grand mère lui a appris.
Seule la faible lueur de la lune et une avare brise passait par la petite fenêtre au dessus de la natte. Les cris aiguës de Maïmouna annonça le début du travail et bientôt on entendit les pleurs d'un nouveau venu ou plutôt d'une nouvelle venu, Maïmouna venait d'accoucher après un long et dur travail, l'accouchement n'a pas été facile. La nouvelle ne tarda pas à atteindre les oreilles de Boubacar qui sauta de joie et se hâta de faire ses ablutions, alla à la mosquée pour prier Maghreb et icha qu'on commençait justement de prier.
Par contre du côté de Nagnouma la co épouse de Maïmouna, la joie n'était pas au rendez-vous, la naissance du bébé de sa co épouse ne l'enchantait point, elle savait que sa favoritisme au près de son mari était de courte durée mais pas à ce point. En effet après la prière, Boubacar père de sept enfants et maintenant huit s'est directement rendu chez la vieille Malado pour voir sa femme, sa favorite depuis toujours, et sa fille.
Il manquerait plus qu'il passe la nuit là bas, pensa Nagnouma, laissa échapper de ses lèvres un long et audible tchiiip dont elle seule avait le secret.
Soumba, sa fille de douze ans, qui l'aidait dans la cuisine prit ses jambes à son coup dès qu'elle remarquât l'humeur de sa mère, qui s'en prenait à tout et n'importe quoi lorsqu'elle est sur les nerfs.
Boubacar rentra très tard ce soir là après une douloureuse séparation avec sa femme comme si celle ci allait s'envoler avec son bébé, oubliant presque que sa première femme avait accouché il y'a de cela deux mois, d'une petite fille aussi. Les deux sentiments n'étaient pas comparable.
Le lendemain, comme une trainée de poudre, tout le village fut informé de l'accouchement de Maimouna, surtout au marché, qui était chaque jeudi, Kadidia, une amie de Maïmouna confia ses condiments à sa voisine de table avant de se rendre à la case de Malado où joie et bonheur était au rendez-vous.
*
* *
Une semaine s'était écoulée depuis l'accouchement, et aujourd'hui c'est le baptême tant attendu. Le matin de bonne heure les hommes se rendit à la mosquée pour faire entendre à l'enfant son prénom. Pendant ce temps dans la concession de Boubacar, les femmes préparaient des haricots comme à chaque baptême, qu'on servait accompagner de café chaud et de niche de pain. Une fois les salutations et duas d'usages faites, chacun rentre chez soi, après avoir nommé la fille de Maïmouna Niamanto comme elle l'avait souhaité.
Effectivement dix mois au par avant, Maïmouna s'est rendu chez son marabout Négédougou lui demanda de supplier les esprits de lui donner un enfant après ses deux fausses couches et ses deux fils morts enfants.
Le marché était de confier sa fille aux esprits d'où le nom Niamanto (ordure). Les noms comme Michifin (vache noire), Fali (âne), yassa, nama, Moriba et j'en passe sont des prénoms attribués aux enfants dont la mère a fait des années pour avoir un enfant, a fait des nombreuses fausses couches, ou quand la mère a perdu la plupart de ses progénitures adolescents. Ces enfants sont confiés aux esprits et à la nature.
Une fois le déjeuner prêt, du riz au gras accompagné de la viande de chèvre bien cuite qu'on a sacrifié pour le baptême, les karankas se regroupa en groupe de six à huit personnes pour manger, Ina Traoré partit chercher l'eau pour le lavage des mains, car ici on se lave les mains dans le même récipient contenant le même eau, oui pour vous qui en savez pas ou qui ignorez les coutumes ça doit sembler dégueulasse, mais ici c'est comme ça, cette pratique se perpétue de génération en génération, depuis nos ancêtres vous répondra un vrai villageois, pour unifié la famille, pour que solidarité paix et entente y règne car les mains qui mangent ensemble s'entre aide.
La fin du déjeuner n'açonnait pas la fin de la cérémonie, on balaya la grande cours et chacune partit chez elle pour s'habiller de ses plus beaux vêtements.
Vêtu d'un beau et grand boubou au motif fleurie violet; des bijoux, faitent par le meilleur bijoutier du coin, au cou, à l'oreille et au poignet, une tresse minutieusement réalisé et du henné fait artistiquement aux pieds et mains, Maïmouna sortît comme une reine la tête bien haute dans ses bras son nouveau né et accompagnée de près par ses sœurs et amies proches.
Elles s'assirent majestueusement sur la natte au milieu de la foule qui regardait le spectacle tantôt aux regards admirateurs tantôt jalousement, parmi lesquelles Nagnouma qui se sentit subitement inférieur dans son boubou un peu moins cher, un foulard négligemment attaché à la tête et des bijoux pas cher. Un mélange de divers encens circulait dans l'air. Ah les femmes, chacune profite des cérémonies de baptême ou mariage pour se montrer.
-Diallo, Diallo djery, commença le griot, fila (peulh) wèrètigui (éleveur) c'est de toi dont je parle, fila djelisonna (celle qui donne aux griots) ne ni é dedo, être peulh c'est comme une calebasse remplit de lait, si tu vois une tâche noire jette la ce n'est pas l'un d'eux, Diallo et Diakite, Sidibé et Sangaré. Fille de Ibrahim na ki barô ( faire ses éloges), ton père est descendant des grands guerriers donc i yèrè yé môgô bâ dôyé, termina t il.
Et bientôt les tamani retentirent, le griot entama une chanson et l'on commença à danser.
Petit à petit chacune reprît sa place aussi essoufflée qu'amusée. Hors mis les mauvaises langues qui ne crachaient que des paroles méprisables et des mensonges à l'égard des autres ou les nafigui(escrot) présentent pour avoir un sujet à débattre sur la place publique, l'ambiance était agréable et chaleureuse.
-Mariétou m'a confie de te remettre un trois pagne et deux morceaux de savon pour laver le nouveau né, s'écria le griot à l'endroit de Maïmouna, juste après, Fanta Doumbia, vraie Doumbia de la grande famille des forgerons, m'a demandé de te remettre ces mille FCFA et te remercie pour ta bonté... Ainsi s'est dressé une longue liste de donneurs, qui le faisait parfois par obligation, par tradition, par bonté ou seulement pour se venter, se montrer ou qu'on les rende la monnaie un jour prochain car c'est ce que tu donnes pendant le baptême des autres qu'on te le rend lors du tien.
Le soleil s'est couché à une vitesse hallucinante, la voix du muezin retentît par dessus les tam-tams, chants et crient de joie et chacune regagna son chez soi après une longue journée.

Une Question de tradition Où les histoires vivent. Découvrez maintenant