XXIV

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Une question de tradition.

C'était pas une nuit comme une autre. La lune était pleine et brillait de toute sa splendeur. Le village était éclairé par sa clarté.
Ce soir, pas besoin de torche ou de lampe à pétrole.
Maïmouna versa l'eau dans le grand tonneau et entreprit de ranger ses ustensiles de cuisine lorsqu'une voix assez grave lança un Salam aleykoum.
Elle laissa tomber ce qu'elle faisait et courut accueillir l'invité qui n'était personne d'autre que Makan.

-Makan bissimilah.
-Notre femme comment tu vas ?
-Bien et toi et les enfants ? Tout le monde se porte bien j'espère.
-Oui Alhamdoulilah.
-Prends place Makan. Maïmouna plaça la chaise près du manguier et courut lui chercher de l'eau à boire.
-Demba m'a dit que vous aviez annulé votre voyage d'hier. Dit elle en lui tendant le grand bol.

Makan but d'une gorgée et acquiesça.
-Et mon frère ? Demanda t il après le chef de famille.
-Il est chez son frère à manan. Laisse moi envoyer Namory l'appeler.
-Non laisse je viendrai demain. Je veux pas déranger.
-Makan toi aussi tu sais bien que c'est avec plaisir que ladji te reçoit. Patiente quelques minutes.

Maïmouna envoya namory appeler son père tandis que Makan, plonger dans ses pensées, réfléchissait à la bonne manière d'annoncer la nouvelle. Il était sûr et certain que son ami ne serait qu'enchanté de recevoir cette bonne nouvelle.
Quelques minutes plus tard, la grosse moto de namory fit irruption dans la cour. Ladji descendit de la moto et vint chaleureusement saluer son ami d'enfance.

-Mon bon petit qu'est-ce qui t'amène.
-Je suis venu voir mes femmes et mes enfants. Je venais vérifier si tu prenais bien soin d'eux comme il se doit. Plaisanta Makan.
-Haha. Un faux chef de famille comme toi.
Ladji tira la chaise et s'assit près de son ami.
-Tu commences à te plaire ici apparemment.
-Si c'était pas à cause de mon travail je me serai installé ici. Rétorqua Makan.
-Toi tu pourras mais tes enfants j'en suis pas sûr. Si ce n'est Demba. Lui il est vraiment le fils de son père.
-Depuis gamin il s'est attaché à la vie d'ici.
-C'est un bon petit. C'est quand tu vas lui chercher une femme makan ? Il se fait vieux.
-A ce propos, Makan sauta sur l'occasion, je suis même là pour parler de ça.
-Je suis tout ouï.
-Comment tu le dis souvent les enfants grandissent vite et ce sont eux les porteurs de nos noms. Et tu sais que de nos jours c'est pas facile d'éduquer un enfant.
-Tu as raison Makan, avec la dépravation de nos mœurs, on se demande où aller. Les enfants ne prennent plus en compte nos cultures et traditions. Hum le monde devient de plus en plus bizarre. A notre temps un homme était un vrai. Pas un trouillard qui sait même pas gérer sa femme encore moins ses enfants. A partir du moment où tu entrais dans la cases des hommes, tu en devenais un vrai. Je me rappelle encore quand on sortait la nuit dans la forêt pour chercher des feuilles. On était exposé à tout danger, surtout celui de déshonorer sa famille.
-C'était le bon vieux temps mon ami. Commenta Makan.
-Un temps très lointain, rétorqua ladji nostalgique.
Il baissa la tête quelques instants, ruminant ce souvenir à la fois lointain et proche.
-Pour revenir à ton fils, qui est l'heureuse élue ? Une fille de la ville ou une griotte du parage ? La fille est elle d'une bonne famille ?
-Je connais très bien le père de la fille et c'est quelqu'un de bien. C'est une fille sérieuse qui vient d'une bonne famille.
-Ha c'est ça l'important Makan. Ton fils est un jeune homme sérieux et droit et il mérite quelqu'un de bien. Makan compte sur moi pour m'occuper des démarches du mariage. Tu es mon frère et c'est à moi de m'occuper de ça.
-Je l'aurais fait avec plaisir si tu n'étais pas le père de l'enfant.
-Quel enfant ? Je ne te suis pas.
-Je sais que j'aurais dû envoyer une délégation comme de coutume mais je voulais te demander la main de ta fille en personne.
-Ma fille ? Bacar restait incrédule.
-Oui ta fille Niaman.
-Hé.

C'était le seul mot qui put sortir de la bouche de Bacar. Il prit le temps de regarder au loin et de réfléchir. Un silence gênant s'installa. Makan perdit sa confiance et son sourire en même temps. Il s'attendait pas à une telle réaction de la part de son ami. Pourtant il était sûr que son ami prendrait bien la nouvelle.
Après quelques minutes, Bacar regarda son ami puis dit:
-Tu sais Makan depuis notre enfance jusqu'à maintenant, tu m'as rien fait qui pourrait me décevoir ou me faire douter de ta loyauté. Je t'ai toujours admiré pour ta loyauté et ta franchise. Je me rappelle, pendant notre enfance, sur la route qui menait au champs, je me rappelle des nombreux conseils que tu me donnais sur la vie. Tu sais depuis des années je te vois plus comme un ami mais un frère. Je me souviens encore du goût de la bouillie de mil de ta mère qu'on buvais les matins avant de marcher les longs kilomètres pour nous rendre à l'école. Moi j'ai laissé l'école pour le champs mais ça n'a rien changé en notre amitié. Les soirs on se retrouvait avec d'autres garçons du village sous un grand arbre pour parler de la vie. Puis tu es parti en ville pour continuer tes études. Les années ont passé et chacun a fondé sa famille.
-Où veux tu en venir Bacar ? Demanda Makan.
-Makan au delà de notre amitié, je suis désolé mais je ne peux te donner ma fille comme belle fille, je le regrette sincèrement. Baissa t il les yeux.
-Bacar qu'est ce que mon fils a qui ne te plaît pas ?
-Il est malheureusement quelqu'un qui l'empêche d'être l'époux de ma fille. Les temps sont passés mais les choses n'ont pas changé Makan. Les traditions demeurent toujours. Les massalen (noble) ne peuvent en aucun cas épouser les djélis (griots). Les sangs ne se mélangent pas comme ça Makan. Ton fils est quelqu'un de bien mais il ne peut épouser ma fille. Vous êtes casté et nous, nous sommes nobles. Dans d'autres circonstances c'est avec plaisir que nos enfants seraient liés mais la barrière des castes est infranchissable.

Makan regarda son ami déçu. Plusieurs sentiments se jalousaient en lui, de la colère à la déception en passant par l'étonnement.
Il ne pouvait croire que cet homme qu'il a toujours vu comme un frère ne puisse le voir autre qu'un griot.
Bien sûr sa caste ne lui faisait pas honte mais il avait la ferme conviction que son ami le voyait comme un être humain avant tout.
En homme sage, il voulait s'en aller sans rien dire mais fallait qu'il dise ce qu'il avait sur le cœur. Il prit le temps d'ordonner ses mots dans sa tête pour ne pas dire de paroles blessantes qu'il pourrait regretter plus tard.
Makan baissa la tête puis la releva. Une lueur de tristesse brillait dans ses yeux.

-Avant tout Bacar je t'ai toujours vu comme un être humain puis comme on le dit souvent, l'amitié dépasse la parenté. Tu es étais plus qu'un frère pour moi et ça me désole d'entendre de ta bouche que tu me voyais plutôt comme le petit griot que Makan ton frère. Bacar adama deya kountaikaila ka dian ni ma dai. J'espère sincèrement que tu ouvriras les yeux avant qu'il ne soit trop tard. Ka hairai fo ankô.

Makan quitta la demeure de celui qu'il considérait comme son frère de sang.
Bacar passa quelques minutes à réfléchir. Il était désolé d'avoir vexer son ami et espérait de tout son cœur qu'il comprendrai ses raisons car au delà de tout ceci Makan était très important pour lui.
Mais il ne regrettait en rien sa décision.
Que diront les gens quand ils apprendront que lui Bacar Keïta, digne descendant de Soundiata, avait mélangé son sang avec un castré ?
Non, il pouvais pas trahir ses ancêtres de la sorte. C'est incontestable de donner une noblesse à un griot. Malgré sa tristesse il était fier d'être parmi les rares personnes qui respectent encore les traditions et qui suivent les pas de leurs ancêtres.

Une question de tradition

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