25- Liaison chimique

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Les couloirs du lycée étaient bondés, comme à chaque période de transition entre les cours. Tout comme la veille, les élèves s'agitaient dans tous les sens, cherchant leurs salles respectives. Et j'en faisais partie. J'examinai pour la petite feuille froissée que j'avais tirée de mon sac ; l'emploi du temps indiquait que mon cours de l'après-midi, un cours de chimie, aurait lieu dans le laboratoire. Je vérifiai l'emplacement pour la sixième fois depuis la pause de midi. J'avais doublement rechigné à y aller pour deux raisons. La première raison évidente, depuis mon échange avec Liam dans le local du Sundry, je ne pensais qu'à une seule chose : retrouver Kila dans le sous-bois. M'abrutir à coups de formules chimiques était le cadet de mes soucis. La seconde raison était plus simple, je n'avais pas choisi ce cours de mon plein gré mais purement sous l'influence persuasive de ma mère. Et quand Claire Atwood décidait d'une chose...

Je soupirai intérieurement devant la porte close du laboratoire. Je m'étais séparée à contrecœur de Liam, inscrit dans un cours différent du mien. Nous avions convenu de nous retrouver près du sous-bois à la fin des cours. Après la pause de midi, j'avais lentement pris la direction du laboratoire de chimie, comme une condamnée à mort en route pour la chaise électrique. Mais pas au risque me faire réprimander d'un retard éventuel toutefois. Je n'avais pas commis la même erreur, ayant pris soin de demander mon chemin à deux élèves de dernière année en amont. J'observai l'heure sur mon portable. J'étais arrivée avec un bon quart d'heure d'avance. C'était déjà un premier point sur lequel le futur enseignant ne pourrait pas me reprendre. Kila... je secouai la tête.

La kanash emplissait mes pensées sans que je ne puisse l'en empêcher, mais ce n'était pas le moment. Je me décidai à pousser la porte et pénétrai dans le laboratoire. Les émanations de vapeurs toxiques me montèrent au nez immédiatement. Dès que je refermai la porte, le vacarme provenant du couloir s'estompa. Je remarquai que la salle était loin d'être pleine : seuls huit élèves étaient présents. Le cours de chimie ne devait pas avoir beaucoup de succès. Je me dirigeai vers la première paillasse libre que je vis. Poussée par l'envie inconsciente de m'évader, je choisis l'une des paillasses situées près des larges fenêtres du laboratoire. Je constatai également avec un grand soulagement que l'enseignant n'était pas encore arrivé. J'avais encore plusieurs minutes de répit avant le début des hostilités. Au premier rang, je reconnus deux filles qui avaient assisté au cours d'éducation physique dans la matinée.

Tout au fond de la salle, j'aperçus un garçon qui avait couru parmi les derniers pendant le cours du coach Dunham. Je ne reconnus aucun autre parmi les élèves restants. Je déposai mon sac sur la paillasse, puis entreprit d'ouvrir la fenêtre pour aérer un peu l'espace : les odeurs chimiques m'intoxiquaient presque, tant elles étaient puissantes. Tout en forçant sur le battant de la fenêtre qui refusait de s'ouvrir, je me demandais si quelqu'un avait oublié de reboucher son flacon ou si mon odorat s'était développé à la manière de celui d'un animal. Encore une autre question que je ne me priverais pas de poser à Kila. Foutue fenêtre... elle était coincée.

Mais j'étais butée. J'insistai encore un peu, m'occasionnant au passage une légère douleur au dos. Putain de marque... À travers la vitre, j'apercevais un bout du parking, et de l'autre côté, une partie du sous-bois. Un petit picotement me parcourut la nuque.  Je secouai vivement la tête et me concentrai sur la fenêtre qui refusait toujours de s'ouvrir. Celle-ci se débloqua d'un seul coup ; son ouverture soudaine m'entraîna dans l'élan. Quelqu'un venait de pousser la fenêtre avec moi. Emma Kowalski.

Elle ébaucha un semblant de sourire. À court de mots, je restai de marbre face à cette tentative de communication, toujours accrochée à la poignée de la fenêtre. Qu'espérait-elle, que tout s'annule et s'efface comme un vulgaire cours inscrit au tableau ? Je serrai les dents, surprise et irritée à la fois de constater que les années n'atténuaient en rien ma perception de la situation. Je ne pus toutefois m'empêcher de la détailler. Si son style vestimentaire avait drastiquement changé, il demeurait toutefois quelques traces de l'ancienne Emma Kowalski. Je retrouvais la même impression de délicatesse, presque de fragilité, qui émanait de ses mouvements. Et tandis que les relents de notre amitié remontaient lentement en moi, je ressentis une violente envie de la protéger. Comme auparavant...

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant