Kivari #1

21- Le jour de Christophe Colomb

Je laissai échapper un soupir de désarroi. Être forcée de travailler avec Jenifer Park ? Il n'aurait rien pu m'arriver de pire. Je décochai un regard furieux à Liam, mais il ne le vit pas : il s'affairait à négocier avec le professeur White. Il tentait de faire remplacer Jenifer par Dylan Presley. Celle-ci signala d'un ton acerbe qu'elle n'était pas un chameau à échanger contre deux jattes de lait. Quand Liam rétorqua qu'il préférait travailler avec un chameau plutôt qu'avec elle, le professeur White calma d'office la riposte de Jenifer. Il leur expliqua calmement qu'il ne comptait pas imposer un groupe à une personne absente. Il leur fit ensuite miroiter l'éventualité d'une retenue hebdomadaire en plus d'une note négative attribuée d'emblée.

L'effet fut immédiat. Tous deux cessèrent d'insister. Il mit également un terme définitif à toute autre tentative d'insubordination en menaçant gentiment les élèves de subir le même sort en cas de contestation supplémentaire. Les groupes se formèrent alors dans le calme avec une rapidité déconcertante. Pendant que les élèves choisissaient leurs partenaires, le professeur White interrogea la classe sur l'histoire de Havenly. D'habitude prompt à participer, Liam garda le silence cette fois. Il était trop occupé à fusiller du regard une Jenifer qui le lui rendait bien.

— Alors ? continua le professeur White tout en consignant les derniers groupes sur sa tablette. D'accord, je vais vous aider un peu. Qui peut me dire à quel évènement correspond la date du neuf octobre ?
— Bah, c'est pas férié ? demanda une élève qui n'avait pas encore pris la parole.
— Si. Mais pouvez-vous me dire pourquoi ? encouragea l'enseignant en croisant les bras.

Un silence général accueillit cette nouvelle question. Pour ma part, je n'en avais aucune idée. Je me rappelais vaguement d'une fête nationale, mais désintéressée comme je l'étais de l'histoire, je n'avais pas fait l'effort d'en retenir le nom ni l'origine. Et au vu du silence environnant, je n'étais visiblement pas la seule. La voix de Preston March retentit tout à coup depuis le fond de la classe.

— C'est le jour de Christophe Colomb, m'sieur !

Le sourcil arqué, je me tournai vers lui, et je ne fus pas la seule. Preston n'était pas réputé pour sa culture. Le professeur White confirma la réponse d'un signe de tête approbateur.

— Tout à fait ! Et surtout, n'oubliez pas de remercier votre ami Google pour vous l'avoir soufflé.

Gêné, Preston recouvrit discrètement son portable de sa trousse tandis que des rires partaient tout autour de lui.

— Allons allons, du calme. Je ne suis pas contre le fait que vous utilisiez Internet pour y apprendre des choses, au contraire. Et puisque vous savez si bien vous en servir, continuez donc à lire le reste et dites-nous en quoi consiste le jour de Christophe Colomb, monsieur March.

À contrecœur, Preston reprit son téléphone et lut à haute voix : «Journée durant laquelle on célèbre la découverte du nouveau monde par Christophe Colomb en 1492.
— Merci, monsieur March. Et maintenant, ouvrez vos brochures à la page 3 s'il vous plaît.», indiqua le professeur.

La classe obéit sans grand entrain. Une peinture en noir et blanc représentant un homme accompagné d'un groupe de colons figurait en plein milieu de la page. La reproduction étant de très mauvaise qualité, je ne m'éternisai pas à déchiffrer l'image. L'illustration était accompagnée d'un texte explicatif dont la longueur, en plus des petits caractères compressés, me décourageait d'avance. Mais je me repris aussitôt : avec les années, j'avais fini par maîtriser l'art secret de l'effort minimal, pratique qui m'avait à plusieurs reprises permis de paraître plus studieuse que je ne l'étais en réalité. Je me bornai donc à lire la légende qui figurait juste en dessous de la peinture, ceci afin de pouvoir situer le texte au cas où l'on m'interrogerait.