Kivari #1

52- Du sang et des lames

La plupart des enseignants affichaient une expression solennelle ; pour les élèves c'était autre chose, du moins pour ceux qui écoutaient encore le discours du proviseur Burton. Si une poignée d'entre eux le fixaient gravement, la plupart semblaient plus intéressés par leurs téléphones portables. Nous avions été rassemblés dans le gymnase redécoré pour l'occasion ; de grandes bannières étoilées pendaient le long des murs, un petit groupe d'élèves de dernière année se tenait juste derrière le proviseur. Parmi eux, un garçon portait une gerbe de fleurs à laquelle on avait apposé un ruban aux couleurs du drapeau national. La voix du proviseur s'estompa soudainement. La minute de silence me parut durer une éternité. Lorsque le proviseur Burton nous libéra, nous eûmes droit à une heure de pause exceptionnelle compte tenu des circonstances. Par chance, le soleil était de sortie. Pas question de rester enfermés. Suivie de Liam, je me précipitai vers notre coin habituel : j'avais tant à lui raconter.

— Mais tu crois que Malori est vivante ? demanda-t-il après mon récit. Si tu peux la voir dans tes rêves... Ou alors, c'est un fantôme ? Merde, ça fait flipper dans tous les cas.
— Meori, rectifiai-je. Et je ne te parle pas du svarai !

Il se mit à rire, je lui envoyai un coup de sac qui ne l'atteignit pas : il était réactif, ce con !

— Un putain de chat, fit-il en riant de plus belle. Tu n'as pas trouvé d'animal plus petit ? Je veux pas dire, mais tu t'es faite enfler.
— Je n'ai pas choisi, répondis-je en grinçant des dents. C'est lui qui est venu à moi. Et puis tu rigolerais moins si tu avais été dans le noy'sat. Il est plus effrayant que tu ne l'imagines.
— Okay, fit-il en s'essuyant les yeux. Mais avoue qu'un chat, ça claque pas des masses. Kila au moins, elle a un loup !

Il évita de justesse le second coup de sac que je tentai de lui asséner.

— Au fait, elle va venir aujourd'hui ?

Il avait adopté un air faussement dégagé, et son ton avait changé. Ma gorge se serra à la vue de l'espoir qui naissait dans ses yeux verts, celui d'une réponse positive. Je ne lui avais pas encore parlé de mon lien avec la kanash. Je n'en avais trouvé ni le temps, ni la manière. Tout s'était enchaîné si vite au cours du week-end ! Je le regardai bien en face : j'allais tout lui dire. Maintenant. Excepté les instants que nous avions partagé dans les rêves entrelacés. Ça, c'était à nous et à personne d'autre. Mais je pouvais lui faire part des sentiments que j'éprouvais à l'égard de la kanash. Je devais le faire. Avec douceur, je l'informerais également de ceux de Kila. Et avec beaucoup de chance, il le prendrait bien. Notre amitié était plus solide qu'une déception amoureuse. Il m'était impossible d'imaginer une brouille entre nous. Nous étions les meilleurs amis du monde. Tout irait bien. Alors pourquoi n'arrivais-je pas à émettre le moindre son ?

— Oh, tu m'écoutes ?
— Désolée ! répondis-je en cillant rapidement des yeux. Oui, elle va venir. Liam, il faut que je te...
— Eh, coupa-t-il en tournant légèrement la tête. C'est pas ta mère, là-bas ?

Je me tournai vers la direction qu'il indiquait. Je reconnus la démarche raide et l'uniforme de Claire Atwood. Elle n'était pas seule, Logan Hoyt l'accompagnait aussi. Les deux inspecteurs se dirigeaient vers la remise de Sam Walker, le jardinier. Ce dernier les accueillit, râteau en main. Que faisaient-ils ici ? Je reculai prudemment près du mur de béton. Ils étaient un peu loin, mais pour une fois, mon svarai allait s'avérer utile. Je tendis l'oreille en direction des deux inspecteurs de police.

— Tu entends quelque chose ? chuchota Liam.
— Oui, toi. Laisse-moi écouter !
— Okay, pardon.

Liam se tut, mais je n'entendis rien d'autre que le vent. S'il te plaît, svarai... Petit chat, prête-moi ta force et laisse-moi entendre ce qu'ils disent. C'est important ! implorai-je mentalement. Aucun résultat. Excédée, je marchai sous les rires étouffés de Liam pour me rapprocher de la remise. La conversation semblait s'envenimer au vu des grands gestes que faisait Sam et je n'entendais rien du tout ! Nous nous arrêtâmes près d'un buisson.