14- Kila

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À quelques pas se tenait une jeune fille élancée qui semblait aussi jeune que moi. Il était inutile de détailler la tunique qu'elle portait pour deviner qu'il s'agissait d'une kanash. La sienne était similaire à celle de Meori, mais différente sur certains points. Composée d'un tissu brun beaucoup plus sombre, elle semblait plus épaisse et plus résistante. Les manches étaient également plus courtes, et le col de sa tunique formait un V au creux duquel la naissance d'une poitrine pâle était clairement visible. Je me raidis lorsque je croisai le regard de l'inconnue. D'une froideur mortelle. Ses pupilles bleues me fixaient avec une attention toute particulière, presque comme si elles me mettaient au défi de l'approcher. Le vent souleva les longs cheveux noirs qui tombaient sur ses épaules nues, transportant de nouveau l'effluve musquée qui émanait d'elle. Ses lèvres roses se pincèrent tout à coup et je réalisai que j'avais cessé de respirer. Je me repris aussitôt, mais ne parvins pas à calmer le sentiment d'angoisse qui me tenaillait et faisait battre mon cœur tel un tambour de guerre. Cette fille était complètement différente de Meori.

Dressée comme un roc entre les arbres et moi, elle ne se cachait pas, elle me regardait droit dans les yeux sans ciller. Tout en elle m'incitait à la méfiance. Je gardai les sourcils froncés tandis qu'elle s'avançait vers moi, et plus encore lorsqu'elle se mit à me tourner autour. Elle avait l'attitude d'un prédateur. Et tout s'enchaîna très rapidement : elle bondit brusquement, s'élevant de plusieurs mètres au-dessus du sol. Sous le choc, je reculai précipitamment, puis tombai à la renverse. Lorsque je me redressai, la jeune kanash avait disparu. Le souffle court, je tentai de rationnaliser ce à quoi je venais d'assister. Je n'avais pas rêvé : elle s'était envolée ! Je réalisai dans la foulée que ma conscience aiguë du monde s'était évaporée. Perplexe, je m'interrogeai sur ma capacité nouvelle à percevoir mon environnement de manière aussi précise. «Meori, qu'est-ce que tu m'as fait...», soufflai-je tout en cherchant éperdument la kanash des yeux.  Mais je n'avais pas le temps de me questionner sur les changements récents qui m'affectaient.

À ta gauche.

J'évitai le coup de justesse, alertée par ce que je considérais être mon instinct de survie. L'inconnue roula sur le sol, puis se faufila parmi les buissons avant de grimper sur l'une des branches basses d'un jeune chêne. Elle se déplaçait avec l'aisance et la grâce d'un animal sauvage, sautant d'une branche à l'autre sans effort apparent. La kanash quitta l'une d'entre elles pour atterrir sur un tapis de feuilles jaunies par l'automne. Elle se redressa brusquement pour bondir de nouveau sur moi. À cet instant, je jurai qu'un loup au pelage clair se superposa à elle, et je faillis me faire prendre à la gorge. Elle me manqua de peu, puis revint à la charge avec un grondement de colère. Je tressaillis en l'entendant : ce grondement n'avait absolument rien d'humain. C'était celui d'un animal sauvage.

— Qu'est-ce que tu me veux, merde ! hurlai-je à la dérobée.

Crier me galvanisa momentanément. Je me doutais bien qu'elle n'était pas en mesure de me comprendre, encore moins de me répondre, mais j'avais les nerfs à vif et exprimer le trop-plein d'émotions que j'emmagasinais depuis cette fameuse nuit dans la forêt me soulageait étrangement. La kanash se redressa lentement, reprenant peu à peu une attitude humaine. Son regard était encore plus perçant, plus dur qu'à son arrivée. Les muscles bandés, j'attendis la prochaine attaque qui ne vint pas.

— Je veux savoir pourquoi.

L'inconnue s'était exprimée d'une voix forte et grave. Interloquée, je la dévisageai durant quelques instants, puis balbutiai :

— Tu... tu me comprends ? Tu comprends ce que je dis ?

Je me baissai pour éviter le coup qu'elle tenta de m'assener, puis effectuai plusieurs pas vers l'arrière pour me maintenir hors de sa portée.

Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant