Dès que j'ouvris la porte, une odeur de friture ainsi que la voix grave d'un homme me parvinrent depuis la cuisine. J'entendis le bruit d'une assiette posée à la hâte sur la table, puis celui de verres qui s'entrechoquaient. Je refermai la porte et me déchaussai dans l'entrée.
— Eden, c'est toi ?
Le visage interrogateur de ma mère apparut aussitôt derrière la porte de la cuisine au bout du couloir. Je n'y décelai nulle trace de colère, mais n'abaissai pas ma garde pour autant.
— Oui maman. Désolée pour le retard, il y a des travaux sur Fulton Street et le...
— Dépose tes affaires et viens manger, c'est bientôt prêt. Dépêche-toi.Et elle disparut aussitôt dans la cuisine. Je ne me le fis pas dire deux fois, profitant du répit momentané pour monter dans ma chambre en vitesse. Je cherchai à la hâte le meilleur endroit pour dissimuler l'amulette, mais prise par le temps, je me rabattis sur la première cachette qui me vint à l'esprit : le deuxième tiroir de mon bureau, sous le cahier qui m'avait servi de journal durant mes premières années de collège. Je me précipitai sous la douche ; me débarasser de mes vêtements souillés était impératif. Je n'eus pas le temps d'en profiter, au troisième appel impatient de ma mère depuis le rez-de-chaussée, je quittai à contrecœur la cabine de douche, revêtis une tenue confortable mais décente et descendis enfin les escaliers. Dans le couloir, j'entendis la voix de l'inconnu résonner depuis la cuisine, et j'appris ainsi qu'il préférait la bière brune à la blonde. J'inspirai profondément, puis pénétrai dans la pièce.
— Ah, te voilà ! fit ma mère, poêle en main.
Un morceau de poulet pané glissa de la poêle vers l'assiette pleine de purée de pommes de terre de l'homme qui, assis à table, me fixait sans rien dire. Il était plus jeune que ne l'aurait laissé supposer sa voix. Brun, barbe mal rasée au quotidien, ses cheveux coiffés à la va-vite lui donnaient un air faussement rebelle. Il devait avoir la trentaine, peut-être dans les trente-cinq ans tout au plus, et affichait un air sérieux renforcé par sa bouche serrée et ses sourcils froncés. Il portait une veste marron qui avait connu des jours meilleurs, ainsi qu'un jean bleu foncé. Sous la table, il croisa ses jambes et je vis qu'il avait aux pieds une solide paire de rangers.
— C'est l'agent Logan Hoyt, précisa ma mère en s'asseyant à son tour. Mon nouveau partenaire. Assieds-toi, ça va refroidir. Logan, voici ma fille, Eden.
Mal à l'aise, j'obéis néanmoins et pris place autour de la table. Nous débutâmes le dîner dans un silence propre aux premières rencontres de circonstance. Mon regard passait de ma mère à l'inconnu. Que faisait ce Logan Hoyt chez nous ? Était-il venu pour m'interroger ? Tout en réfléchissant, je mâchai docilement ma purée de pommes de terre. S'il savait quoi que ce soit, ma mère le savait probablement aussi puisqu'ils étaient partenaires. Et compte tenu de son attitude plutôt joviale...
— Comment s'est passée ta journée ? demanda ma mère pour briser la première couche de glace.
Tout comme les nœuds de la corde que j'avais escaladée le matin même, je me remémorai chaque point notable de ma journée. Par où commencer ? Mes nouvelles aptitudes physiques, mon svarai, le lion des montagnes pour finir en beauté, ou Kila peut-être ? Je dissimulai avec soin chacun de ces secrets, si profondément que même mon ancien journal intime n'aurait pas le loisir de les connaître un jour.
— Super, répondis-je avec un sourire forcé. J'ai même survécu au cours de chimie alors tu vois...
— C'était aujourd'hui ? Eden n'est pas très douée en sciences... précisa-t-elle à l'attention du jeune inspecteur. Elle tient ça de moi, parce que son père l'était, lui !
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Kivari #1
FantasyAprès s'être aventurée dans une forêt interdite, une adolescente développe un étrange pouvoir lié à un peuple mystérieux. *** À seize ans, le quotidien d'Eden Atwood n'est rythmé que par les cours et ses escapades avec son ami Liam. Mais leur vie tr...