Je marche pieds nus sur un sentier de sable blanc. Il est bordé d'arbres aux troncs zébrés qui s'élèvent à l'infini, comme pour gratter le ciel de leurs branches touffues. Celles-ci sont bien trop hautes pour que je les escalade, et même si j'avais pu le faire, je n'aurais pas gagné davantage de visibilité : il fait nuit, je n'y vois pas à plus d'un mètre devant moi. Peu importe: je sais où je vais. Je lève la tête : parmi les rares ouvertures que les frondaisons ont oublié de dissimuler, je peux voir que le ciel est complètement éteint. Des lianes s'étirent le long des arbres. Certaines s'enroulent sur elles-mêmes, d'autres se hérissent, mais toujours sans bruit. Tout comme mes pas, les sons sont étouffés par le silence absolu qui règne autour de moi.
Tout est tranquille. Affreusement tranquille. Une agréable senteur flotte dans l'air. Si la douceur possède une fragrance, je suis certaine de la respirer à ce moment précis. Je ne suis pas surprise lorsqu'un premier pétale, puis un second me dépassent et s'envolent vers l'horizon que je ne vois pas. J'attrape le troisième qui vole à ma hauteur et le porte à moi ; il exhale un parfum de lys et je le libère aussitôt de mon emprise : il rejoint la dizaine d'autres qui tournoient devant moi dans une danse fascinante.
Je les suis. Ils sont désormais une centaine à défiler dans une farandole qui ne s'arrête plus. Ils vont si vite que j'entends le sifflement qu'ils produisent lorsqu'ils m'effleurent. Et tandis que je me laisse emporter par leur course effrénée et l'enivrant parfum qu'ils laissent sur leur passage, je perds de vue le sentier. Mais qu'importe, puisque tout est si beau ? Et je comprends alors. Ils ne sifflent pas : ils chantent. Puis la danse cesse.
Les pétales retombent les uns après les autres, ils s'effeuillent seuls, entamant leur lente et inexorable chute vers le monde ici bas. Je perçois un grésillement, léger d'abord, plus significatif ensuite. Je m'aperçois alors qu'il provient des pétales : ils s'embrasent et peu à peu, c'est une multitude de minuscules braises orangées qui tombent du ciel. La pluie de pétales embrasés tranche avec l'obscurité.
«C'est ce qui va se produire si tu ne l'arrêtes pas.»
Je lève les yeux vers la kanash qui apparaît au milieu des pétales ardents.
— Meori ?
Elle acquiesce. Ses yeux d'azur rassemblent plus de tristesse qu'elle ne peut l'exprimer verbalement.
«Tu as pris plus que mon amulette, fille du chat.»
Je sais de quoi il s'agit. Ou plutôt de qui. La douleur qui en résulte m'enserre tant que je ne réagis pas à la brûlure provoquée par le pétale que j'attrape au vol par réflexe. L'expression de Meori change, ses traits se durcissent. La douceur d'antan a des relents de vengeance désormais.
«Je n'aime pas ça non plus, esh-kirith. Mais la vie est ainsi faite : le chemin que tu prends n'est pas forcément celui que tu te figurais. Tout comme je n'ai pas choisi d'être ici.»
— Où sommes-nous ?
Petit à petit, les pétales de feu embrasent le sable blanc. De fines rainures orangées commencent à fissurer le sol : il ne va pas tarder à s'effondrer. Meori me regarde. J'entrevois un mélange de peur et de tristesse dans ses yeux de glace.
«Sula eshani esh-kirith, Eden. Aethnu'vai.»
Tout est clair. C'était ça, ce que tu avais essayé de me dire ? Meori acquiesce encore une fois. Elle est si triste. Et je suis en colère. Je ne comprends pas. Elle ne m'explique pas. Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Et Kila... Que vais-je lui dire ? Je serre le poing. Lorsque je l'ouvre, il n'y a que des cendres grises au creux de ma paume. Est-ce là l'unique futur que le sort nous réserve, à Kila et moi ?
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Kivari #1
FantasyAprès s'être aventurée dans une forêt interdite, une adolescente développe un étrange pouvoir lié à un peuple mystérieux. *** À seize ans, le quotidien d'Eden Atwood n'est rythmé que par les cours et ses escapades avec son ami Liam. Mais leur vie tr...