Les filets d'eau s'écoulaient en minces sillons sur mon corps meurtri. La chaleur de l'eau qui ruisselait du pommeau m'apaisait, et pour la première fois de la journée, je me détendis réellement. Je me laissai un moment absorber par la pleine satisfaction que me procurait la douche. Les mains en coupe, je recueillis l'eau tiède qui s'écoula aussitôt entre mes doigts pour glisser le long de mon corps. Je ramenai mes mains à mon visage et les frottai énergiquement pour enlever la mousse qui s'y attardait encore. Je grimaçai lorsque je passai sur ma joue enflée. Elle n'était plus aussi douloureuse, mais elle me faisait encore mal par moment. J'actionnai la poignée qui me permettait de contrôler le débit de l'eau, et progressivement, celui-ci diminua jusqu'à se couper totalement. Une main contre le carrelage froid, je restai un instant immobile, songeant aux évènements de la journée. Des gouttes d'eau perlèrent de mes pointes blondes humides pour s'écraser à mes pieds.
«Tu vas avoir besoin de moi. Et plus tôt que tu ne le penses, esh-kirith.»
J'ouvris d'un mouvement sec la cabine de douche et m'en extirpai aussitôt. Les paroles de Kila me restaient dans la tête et je ne parvenais pas à les oublier. Besoin de cette malade ? Certainement pas ! Je m'emparai rageusement de ma serviette de bain accrochée au mur et entamai mon séchage. Elle sentait bon la fleur d'oranger. Je bénis ma mère et son obsession pour la lessive. À cette pensée, je jetai un œil au petit cadran numérique accroché au mur, près du miroir de la pharmacie. Presque vingt-deux heures et elle n'était toujours pas rentrée. Avec tout le remue-ménage provoqué par le meurtre de Meori, elle devait probablement crouler sous le travail.
Je savais qu'une conférence de presse devait avoir lieu, et je me doutais que ma mère aurait probablement à y prendre part. Les esprits s'agitaient beaucoup, comme à chaque fois que la question du rapport entre les kanashs et les locaux était soulevée, il fallait apaiser les tensions au plus vite. En traînant sur mon portable, j'avais pu constater que chacun y allait de son petit commentaire : pour les anti-kanashs, l'affaire de la rivière était du pain béni. Les uns pensaient que Meori s'était suicidée et que les kanashs avaient déguisé cet incident en meurtre afin d'en imputer la responsabilité aux locaux. Les autres y voyaient une véritable conspiration encore plus marquée, allant jusqu'à affirmer que Meori avait été assassinée par un membre de son propre peuple afin de raviver les tensions existantes. Certains avaient déjà plus d'empathie, et souhaitaient organiser une marche de solidarité pour manifester leur soutien à la cause kanash. Mais pour ma part, du haut de mes seize ans, je ne pouvais qu'être soulagée de ne pas être concernée par ces problématiques d'adultes.
Je me frottai la tête à l'aide de la serviette pour me sécher les cheveux. Je n'étais pas concernée par les tensions que l'affaire de la rivière soulevait, mais je me sentais concernée par Meori. Que je le veuille ou non. Meori... Un sentiment inexplicable m'empoigna le cœur. J'eus de nouveau la désagréable impression d'avoir perdu une partie de moi-même, et j'en ressentis une forme d'irritation. Comment pouvait-on ressentir un tel sentiment à l'égard d'une personne que l'on ne connaissait pas ? Je relevai la tête pour observer dans le miroir le visage confus qui se dissimulait derrière les mèches blondes détrempées.
Dans mon reflet, j'aperçus les deux iris noisette qui me fixaient. Ils se déplacèrent lentement vers ma joue. À présent que je la voyais, elle ne me paraissait pas si enflée que ça... Mes yeux remontèrent vers mon front. Je relevai lentement les mèches qui le dissimulaient. Ma bosse avait considérablement diminué, elle aussi. Et la couleur bleuâtre qui l'accompagnait encore à mon réveil avait totalement disparu. Marre de toutes ces conneries ! pensai-je tout en serrant les dents face à mon reflet. Je nouai la serviette autour de ma taille et me dirigeai d'un pas décidé vers ma chambre. Kila ne me donnerait aucune réponse tant que je ne lui obéirais pas ? Parfait. Je n'avais pas besoin d'elle, je me débrouillerais pour obtenir les réponses toute seule. Je m'arrêtai devant la glace murale fixée près de mon bureau. Les mains serrées sur la serviette, j'attendis quelques instants. La fille dans la glace était paralysée par la peur. Tout le courage amassé durant ma douche s'était évaporé. Je me détournai aussitôt de la glace, apeurée à l'idée d'y découvrir quelque chose que je ne supporterais pas. Tu ne veux pas savoir ? souffla la détestable petite voix à l'intérieur de moi.
VOUS LISEZ
Kivari #1
FantastikAprès s'être aventurée dans une forêt interdite, une adolescente développe un étrange pouvoir lié à un peuple mystérieux. *** À seize ans, le quotidien d'Eden Atwood n'est rythmé que par les cours et ses escapades avec son ami Liam. Mais leur vie tr...