12- Sans issue

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— Rien de rien.

Je balançai sans vergogne le livre que je lisais. Il rejoignit piteusement la pile qui s'était formée près de nous, preuve involontaire de nos recherches infructueuses.

— Hé ! protesta Liam en levant les yeux de son téléphone portable. Pas obligée de le maltraiter comme ça.
— Toutes mes excuses, répondis-je après avoir exécuté une courbette respectueuse envers le livre.

Liam formula le mot «abrutie» silencieusement à mon encontre, puis reprit son travail. Je laissai mes doigts effleurer au hasard les tranches de livres qui peuplaient le rayon où nous nous trouvions. Nous nous étions arrêtés à la bibliothèque du lycée — grande première pour moi — après la cérémonie de bienvenue, afin de pouvoir y effectuer des recherches sur les premiers habitants de la vallée. J'y avais ainsi appris que Havenly avait été fondée en 1620, que les colons n'avaient pas remporté la guerre facilement car les premiers habitants leur avaient opposé une franche résistance durant cinq longues années au bout desquelles les deux camps avaient subi énormément de pertes. Liam dût me répéter à trois reprises que la période de ces cinq années de guerre fut appelée «la guerre rouge» en raison de leur caractère particulièrement sanglant.

N'étant pas férue d'histoire, mon intérêt s'était très vite amenuisé, dès les trois premières lignes de lecture selon Liam. Contrairement à lui, je n'exprimais que peu d'entrain pour tout ce qui touchait à l'histoire de Havenly et de sa vallée, préférant nettement les films d'aventure et d'action que j'appréciais en solitaire ou avec lui, lorsqu'il le voulait bien. Mais surtout je n'aspirais pas à devenir, comme lui, journaliste un jour. L'image d'une femme en tailleur vert kaki s'imposa à mon esprit et je secouai la tête, frissonnant à l'idée de lui ressembler un jour.

— Bon, finit par concéder Liam en refermant le livre qu'il tenait. Pas la peine d'insister plus pour aujourd'hui. De toute façon ça va bientôt fermer, on n'a qu'à revenir demain après les cours.

Il rit devant la mine déconfite que j'affichais. Encore des livres.

— Tu voulais des informations, non ? Alors il va falloir bouquiner.
— Et là-dessus, rien non plus ? hasardai-je en désignant son portable du menton.

J'espérais fortement que sa réponse soit positive.

— Ben... à part des forums à la con sur des légendes bidons, y a rien non.

Je soupirai en déchirant l'air de mes griffes imaginaires. La frustration que je ressentais était telle que je la sentais prête à exploser à n'importe quel instant. D'humeur massacrante, j'attrapai un livre au hasard et feuilletai les pages sans les lire. J'avais songé à retourner dans la forêt. Meori n'y avait sûrement pas vécu seule, et si je parvenais à établir le contact avec l'un de ses pairs, je pourrais peut-être apprendre ce que signifiait l'amulette... mais comment faire sans parler la même langue ? Je soupirai bruyamment entre les rayons. Je revenais toujours au point de départ.

— Il y a une autre solution, grommela Liam. On peut aussi essayer aux archives.
— On ira dire bonjour à ton père comme ça.

Il haussa les épaules sans rien dire. Son père, John Perkins, était adjoint au maire Thomas Park depuis plusieurs années. Il promettait sans cesse à son entourage qu'il se présenterait pour la prochaine course à l'élection municipale mais, chaque année, il rempilait inlassablement à son poste d'adjoint au maire, arguant que «ce n'était pas encore le moment».

— Il faut que je rentre ou je vais me faire défoncer, déclara soudainement Liam tandis que son téléphone vibrait de toutes ses forces.

Avant qu'il ne le range dans sa poche, j'eus le temps d'apercevoir l'appel qu'il recevait d'un certain Monsieur Connard. Connaissant l'identité du concerné, je ris doucement:

— Ça va aller ?
— Faut bien, je vis avec lui alors bon. Tu veux venir avec moi ?
— Non, déclinai-je poliment. Il vaut mieux que je rentre moi aussi. Je ne veux pas faire criser ma mère, elle est sous tension en ce moment avec... avec ce qui s'est passé.
— Tu m'as dit qu'elle était chargée de l'affaire, c'est ça ? reconfirma Liam d'un ton faussement dégagé.

Un silence pesant s'abattit entre nous. À chaque fois que nous évoquions ce que les journaux — que nous avions épluchés sur nos portables durant nos recherches — désignaient désormais comme «l'affaire de la rivière», la probabilité d'être pris dans le courant des évènements nous tenaillait l'estomac. J'acquiesçai de la tête néanmoins. Liam baissa les yeux, puis ramassa ses affaires éparses sur la moquette neuve de la bibliothèque.

— Faudrait que tu restes manger chez nous un soir, ma mère n'arrête pas de me le demander. Tu voudrais pas venir ce week-end ? Tu pourrais dormir à la maison.
— D'accord, d'accord. J'essaierai pour ce week-end.
— Cool. À demain alors ! me lança-t-il avec une joie exagérément feinte.

À demain... pensai-je tout en lui souriant de loin. Je jetai un coup d'œil à mon téléphone portable. Bientôt dix-sept heures. Je savais que ma mère n'était pas encore rentrée du commissariat et qu'elle ne rentrerait probablement pas avant vingt heures sinon plus. Claire Atwood était une acharnée du travail, et avec tout ce qui se passait actuellement... Je ramassai mon sac et m'approchai de l'accueil de la bibliothèque. Une femme au visage fermé y siégeait. Elle était blonde, ses cheveux étaient tirés en un chignon strict qui figeait encore plus son petit visage déjà sévère et qui se serra davantage à mon approche. Peu à l'aise, je fouillai la poche avant de mon sac à dos à la recherche de ma carte d'étudiant. Tous les élèves en possédaient une, il était nécessaire de la montrer à chaque passage effectué dans la bibliothèque afin d'être listé dans le registre.

Derrière ses lunettes carrées, la bibliothécaire haussa un sourcil épilé au poil près lorsque je la lui tendis, puis s'affaira à vérifier minutieusement chaque détail. Elle prit un temps excessivement long pour vérifier mon identité, alternant entre les informations inscrites sur la carte et la mine polie que je m'efforçais d'afficher. Enfin, elle consigna l'heure de mon départ. Je ne réagis pas davantage lorsqu'elle s'étonna de mon intérêt pour la lecture sur un ton suffisamment équivoque pour que j'en comprenne la portée. Je me bornai à un simple «merci» lorsqu'elle consentit à me rendre mon bien avant de me congédier d'un geste sec de la main, puis quittai la bibliothèque. À l'extérieur, je ne rencontrai aucun visage familier hormis celui de Sam Walker qui rangeait ses outils dans la remise. À vrai dire, je ne côtoyais pas grand monde. Excepté Liam, je ne côtoyais personne. Je m'installais sous l'un des abribus disposés devant l'entrée du lycée pour y attendre le bus qui me ramènerait chez moi quand j'entendis une voix au timbre désagréablement reconnaissable : Jenifer Park.

 Je m'installais sous l'un des abribus disposés devant l'entrée du lycée pour y attendre le bus qui me ramènerait chez moi quand j'entendis une voix au timbre désagréablement reconnaissable : Jenifer Park

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Kivari #1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant