Prologue :

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            - Tout ira bien, Haine.

Ecrasée contre sa poitrine, je percevais les battements précipités de son cœur. Je sentais son souffle chaud sur le haut de mon crâne. Elle respirait difficilement. Elle parlait rapidement. Elle me pressait durement.

- Je te jure que tout ira bien. Tu dois me croire, je fais ça pour toi. Pour ton bien.

Je tentais de me dégager du haut de ma petite taille pour pouvoir voir son visage. Je n'aimais pas le ton de sa voix. Il me faisait peur. Ma sœur me relâcha enfin. Juste assez pour nous écarter de quelques centimètres. Ses mains vinrent encadrer mon visage. Ses doigts étaient froids et tremblants contre mes joues.

- Je ne t'abandonne pas. D'accord?

Ses yeux étaient si sombres que je peinais à les voir. Ils étaient également si rouges! Elle avait dû beaucoup pleurer. L'enfant que j'étais ne pouvais que trouver cela encore plus inquiétant. Une frayeur comme je n'en avais jamais connu m'agrippait la poitrine. J'attrapais un pan de sa cape dans ma petite main, totalement déboussolée.

- Où est-ce que tu vas, grande sœur? Quand est-ce que tu reviens?

Les larmes glissèrent sans un bruit sur ses joues. Elle se pinçait les lèvres et ne cessait de me fixer. La prise de ses mains sur mes joues en devenait presque douloureuse. Je répétais ma première question d'une voix tremblante.

- Je dois partir. Quelque part et pour quelque temps. Mais je reviendrais. Je te le promets. Je reviendrais.

Tout à mon innocence et à ma peur, je ne voulais qu'une chose : la suivre.

- Je peux...

Elle m'emprisonna une nouvelle fois dans l'étau de ses bras.

- Non, tu ne peux pas.

Je la sentais secouer la tête à la négative juste à côté de la mienne. Elle lâcha un soupir essoufflé. Son cœur battait toujours aussi vite, toujours aussi bruyamment. J'avais peur qu'il n'annonce une mauvaise nouvelle. J'avais peur de ne plus l'entendre, lui ou la voix de ma sœur.

- Tu ne dois pas non plus chercher à me retrouver, d'accord? Tu dois me le promettre.

Face à l'urgence qui pressait dans sa voix, je ne pus que me cramponner un peu plus à elle. Je hochais la tête en assentiment sans pouvoir prononcer le moindre mot. Ma gorge me brûlait et mes yeux me piquaient. J'avais l'impression d'étouffer.

- Bien. Je reviendrais. Promis.

Elle m'embrassa alors le haut du crâne. Je déglutis difficilement. Les larmes ruisselaient soudainement sur mon visage. J'hoquetais sans parvenir à poser les milles et une questions qui m'oppressaient.

- Tout ira bien, petite sœur.

- Reste avec moi, Tasha... la suppliais-je.

Elle pressa sa joue sur mon front et murmura qu'elle était désolée. Elle le répéta plusieurs fois. Je pleurais contre elle tandis que sa main glissait dans mon cou. Dehors, la pluie redoubla. Elle martelait les carreaux avec violence. Agrippée à ma sœur, je manquais d'enfouir mon visage dans son cou lorsqu'un éclair déchira le ciel. Je n'aimais pas les orages. Ils me terrifiaient. Mais pas autant que la peur de perdre ma sœur. Avant que je n'ai pu réaliser s'il s'agissait d'un cauchemar éveillé, je me sentis basculer. La torpeur m'envahie et mes paupières se fermèrent. Jusqu'au bout, je ne sentis que la chaleur de Tasha alors qu'elle ne cessait de me demander pardon.

         Je me réveillais en sursaut. Dans mon mouvement brusque, mon crâne heurta l'une des étagères encadrant ma maigre couchette. Je pressais prudemment ma main contre ma tête et tentais de reprendre mon souffle. J'étais couverte de sueur et pourtant, je mourrais de froid. J'appuyais mon épaule contre le mur en retenant un grognement de douleur. J'ouvris doucement les yeux. La faible lueur des néons baignait le dortoir dans un semi-pénombre bleutée. Sur la couchette voisine, je vérifiais que ma colocataire dormait toujours. Je soupirais soulagée en constatant que c'était le cas.

Sur les couchettes supérieures, aucun bruit ne laissait penser que j'avais réveillé d'autres personnes. Je restais encore quelques minutes immobile dans la pénombre. Les néons donnaient un air sinistre à notre dortoir. Ils laissaient se balader des ombres là où il n'y aurait pas dû en avoir. Sur les douze résidentes, je semblais être la seule éveillée. Je devais être la seule en proie à des cauchemars. Je me mordis la lèvre inférieure et me rallongeais en faisant le moins de bruit possible. Je ne voulais pas voir sur mon dossier que j'étais celle qui réveillait tout un dortoir par ses cris. La mention de cauchemar était étonnamment mal vue.

Instinctivement, je remontais le drap sur ma poitrine. Il ne faisait pas froid à bord du destroyer. Au contraire, avec les machines qui tournaient à plein régime, il faisait plutôt chaud dans les dortoirs. Néanmoins, je ne parvenais pas à me réchauffer. Pas alors qu'il me manquait la sensation d'une autre chaleur. Ces souvenirs avaient beau être lointains désormais, ils étaient toujours aussi vivaces dans ma mémoire. La teinte particulière de ses cheveux, l'éclat farouche de ses yeux, la douceur de sa voix. Tout était intacte. Le vide n'en était que plus grand.

Je venais de refermer les yeux lorsque la porte s'ouvrit en claquant. Une lumière crue inonda la pièce. Je me redressais sur un coude et emprisonnais machinalement ma chaine dans mon poing. Je plissais les yeux pour tenter de distinguer quelque chose tandis que des ordres étaient hurlés. Ni une ni deux, je me jetais au bas de ma couchette pour enfiler mes chaussures. Sans attendre de voir clairement ou de récupérer mon équilibre, je m'élançais à la suite de mon unité. Mon bien le plus précieux disparu sous mon Marcelle alors que je suivais la course rapide des bottes heurtant le sol froid. Nous étions en alerte. Un ordre de mission venait de nous être assigné.

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