Unforgivable

Chapitre 27 : Une chose en commun

        Debout, immobile, je tentais de m'évader. De m'évader de moi-même, fuir loin de mes pensées, loin des hurlements de Poe, de mes émotions trop complexes pour que je puisse les analyser, loin des images qui se répétaient en boucle sous mes paupières, des sensations qui me brûlaient la peau par leur absence, et qui demeuraient pourtant bien vivaces dans mon esprit. J'avais besoin de réfléchir calmement, de reprendre les évènements depuis le début, de retrouver le contrôle de la situation, tout simplement. Sauf que j'en étais incapable. Le tonnerre grondait sous ma peau, foudroyait mes pensées, explosait dans mon cœur. J'avais besoin de m'épuiser, de me vider de ce trop plein de sentiments, et en même temps de combler ce trou qui me minait lentement.

Ma main tremblait alors que je l'appuyais contre la carlingue du Faucon Millenium. Le froid du métal m'apaisa avec l'aisance d'un souvenir réconfortant. J'avais parcourus la coque de bien des vaisseaux du bout des doigts, rêvant du jour où je pourrais moi-même en piloter un. De celui où je pourrais déployer mes propres ailes, à l'instar de l'oiseau niché contre ma poitrine. Du jour où je retrouverais ma sœur. Mais ce jour ne cessait de m'échapper. Et je n'avais jamais pu apprendre à manier un tel appareil. Trop coûteux et inutile pour une fille.

Je sursautais lorsqu'une main se posa sur mon épaule. Empêtrée dans mes pensées, je n'avais pas senti le dénommé Han s'approcher. Je me tournais vers lui, la mine déconfite, les yeux plein de questions sans réponse.

- Fais pas cette tête, gamine. Poe t'en voudras pas longtemps, il a juste besoin de se calmer.

Poe...

Le nom ricocha un instant dans mes pensées. Avant que les cris ne s'ancrent à nouveau à ma réalité. Mon estomac se souleva aussitôt d'une nausée provoquée par la culpabilité.
Dire que je l'avais encore déçu serait un euphémisme. Mais c'était bien loin de ce que je ressentais envers moi-même. Sa colère était suscitée par ma prise de risques inconsidérée, par son inquiétude face à ma tendance à attirer les problèmes, et par mon obstination qui les avait tous mis un peu plus en péril. La mienne s'était embrasée en réaction pour masquer mon dégoût.
Alors que j'étais face à lui, je n'avais pas pu m'empêcher de penser à un autre.
Alors que ses reproches pleuvaient, je n'avais qu'une chose en tête. L'image d'une silhouette qui s'affaissait à mes pieds. J'avais beau sentir sa fureur irradiait, je me sentais gelée de l'intérieur. Je n'avais pas pu empêcher mes yeux de dériver vers ses lèvres, me demandant quel goût elles avaient et si elles seraient aussi douces que celles de Kylo Ren.

Ce constat m'avait assommé bien plus que les mots du pilote.  A dire vrai, je m'en souvenais à peine. Mais je me rappelais du pli soucieux présent sur son front alors qu'il nous quittait pour rejoindre son X-Wing. Je me rappelais de la brûlure des remords qui rongeaient mon estomac alors que, pendant un instant, j'avais songé à embraser Poe. Juste pour savoir si ce serait différent, si je ne m'étais pas trompée, s'il n'effacerait pas le baiser précédent, pour me laisser à nouveau propre, sereine et forte. Sauf que cela aurait été trop facile. Je n'aurais fait qu'utiliser Poe, pour diluer ma culpabilité à son égard, pour oublier le plaisir coupable que j'avais ressenti.

- Allez, viens par là.

Je me laissais guider par Han Solo et choir sur une banquette. Mon poing se contracta. J'avais envie de hurler. Merde! Pourquoi tout ne pouvait-il pas être simple? Pourquoi est-ce que je me sentais si fautive envers le pilote? Pourquoi est-ce que je ne pouvais pas juste laisser ce baiser s'estomper, le considérer comme un élément de ma mission, de ma survie, comme les nombreux autres actes que j'avais déjà commis dans le passé? Pourquoi est-ce que j'avais encore l'impression de sentir ses lèvres sur les miennes sans en être horrifiée?

- Tiens, bois ça.

Je levais les yeux vers le pilote du Faucon tandis qu'il me fourrait un verre au liquide ambré entre les mains. J'essayais de le déchiffrer du regard, le soupesant, alors qu'il m'avait déjà aidé plusieurs fois. Vaincue par la malice de son regard et la gentillesse de ses traits, je portais le mélange à ma bouche... et manquais de le recracher aussitôt.