Meurtre

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« Aradante ! Aradante ! » Rochenéré l'appelait mais elle ne parvenait pas à le rejoindre. Il était si loin. Elle avait froid. Elle aurait voulu qu'il la prenne dans ses bras, mais au lieu de cela, il se retournait et s'en allait en colère parce qu'elle n'avait pas répondu à ses appels. Elle voulait crier mais aucun son ne sortait de sa gorge. Une angoisse terrible la saisit ; lui aussi l'abandonnait. Elle ouvrit les yeux et aperçut Valente au dessus d'elle. A travers les persiennes, elle devinait le ciel blanchir au dessus des toits.

« Quoi ! » C'était bizarre d'entendre soudain sa voix qui se refusait à l'instant, dans son rêve. « Que se passe t-il ? »

Il semblait bouleversé. Il avait une mine affreuse, s'était vêtu avec précipitation ce qui la surprit de sa part et l'alarma.

« Lève-toi. Habille-toi ! » Il lui avait déjà tourné le dos et ouvrait les volets. La lumière grise éclaira chichement la chambre. Il avait une mine pâle et fébrile, la bouche prête à pleurer, les yeux déjà en larmes.

Cela lui faisait tout drôle de recevoir un ordre de lui mais elle ne discuta pas. Il semblait trop défait. Pendant qu'elle enfilait une longue tunique, il tenta de lui expliquer.

« Il y a eu un nouveau meurtre... »

Sa voix s'étrangla. Son agitation était à son comble. Il allait de long en large dans la chambre, bousculant tous les objets au passage.

« Où ? »

« A la Rose-Thé. »

C'était la maison de plaisirs où elles aimaient finir leur nuit. Là où le beau Natanaël officiait... Un sombre pressentiment la saisit.

« Natanaël ? » Sa voix s'étranglait maintenant de crainte. Valente laissa échappé un sanglot. Ce qu'elle prit pour une réponse affirmative.

« Ho ! Sortilège ! » S'écria-t-elle. Elle oscillait entre la stupeur et l'incrédulité. Des visions du jeune homme la traversèrent, bien vivant, radieux, provoquant, insolent de séduction.

Elles marchèrent rapidement dans le dédale des petites rues et arrivèrent rapidement devant la maison. Valente s'arrêta et reprit son souffle et sa contenance. Elle le vit détailler ses vêtements, les remettre en ordre en même temps qu'il se recomposait et évacuait son chagrin pour adopter une posture plus froide et détachée.

« Allons-y. »

Elles entrèrent à l'arrière, par la petite porte dérobée et montèrent un escalier étroit et raide. Il lui expliqua en montant que le corps avait été découvert il y avait à peine un heure. Il avait demandé à ce que la police de la ville ne soit prévenue qu'après son inspection des lieux. Et il était parti la chercher avant de venir ici. Il avait aussi fait prévenir Ernest, qui devait arriver sous peu.

La porte de la chambre était ouverte. Un jeune hôte était posté à côté, le visage en pleurs, enveloppé pour tout vêtement d'un grand châle de cotonnade bariolée qu'il utilisait aussi pour essuyer son visage ruisselant, ce qui ne servait à rien puisque de nouvelles larmes le mouillaient aussitôt.

« J'ai veillé à ce que personne ne pénètre. Ravenelle a été prévenue, malheureusement... Elle ne devrait pas tarder. Ozi est déjà là. »

L'une, en tant que tenancière, était l'exploitante du charmant et lucratif commerce des beaux garçons. Elle en tirait ses revenus et sa position. Parfois elle les utilisait à des fins plus politiques, pour obliger ou remercier quelques amies bien placées. Peut-être plus que les revenus, c'était cet aspect là de la bringue qui intéressait le plus Aradante. Ravenelle était aussi fonctionnaire de la ville et sa carrière avait avancée très rapidement. Si on voulait enquêter discrètement et officieusement, il fallait le faire en dehors de sa connaissance. Ozi était le gérant. Ancien prostitué lui-même ; pas entièrement retiré de la profession ; sa belle allure, sa silhouette souple, ses rides naissantes qui dessinaient sur son visage de fines nervures, lui conféraient de l'attrait. C'est lui qui était en relation direct avec les hôtes et qui gérait la maison. C'était plus facile de le circonvenir. Expliqua Valente en aparté.

Cinq ans aprèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant