Ludina

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Les entrepôts où travaillait Ludina n'étaient pas très loin du Palais Municipal, au bout des quais, côté mer.

« Je l'ai faite prévenir de notre visite pour être sûres de la trouver. Au point où nous en sommes, je crois qu'elle est déjà au courant de la raison de notre entrevue. » Lui dit Portia. Elles avançaient rapidement et Lula trottait derrière elles. Arrivées les entrepôts, de vastes hangars de briques et de bois aux toitures cannelées, elles lui demandèrent de les attendre dehors. Lula avisa un banc à l'ombre et s'y assit.

Elles pénétrèrent dans le bureau de Ludina, qui, ainsi que d'autres salles administratives, occupait une partie du premier entrepôt. Elles n'eurent pas longtemps à patienter sa venue. Elles se saluèrent courtoisement et Ludina les fit asseoir dans un coin de son bureau où elle avait installé un petit salon : quelques fauteuils et une table.

Portia l'attaqua abruptement. Selon leur scénario bien rodé, c'était elle qui interrogeait et Sacha écoutait, observait et contrôlait magiquement. Elle rappela brièvement les faits avant d'en venir aux questions :

« Nous savons que c'est toi qui a organisé cette soirée où Natanaël a rencontré son assassine. Comment le connaissais-tu ? »

Sacha avait une petite idée de la réponse. Portia peut-être aussi. Ludina semblait apathique.

« C'est un ami de mon compagnon. Il avait besoin d'argent. Il voulait décrocher. Généralement, nous payons bien les gars que nous invitons. » Ses yeux étaient perdus dans le vague. Elle s'exprimait avec lassitude, et peut-être avec chagrin. « Je l'avais déjà rencontré, à plusieurs reprises. »

« Durian aussi ? »

« Oui ! Et si tu y vas comme ça, Niger aussi et Tristan. Puisque tu cherches des liens. Ils étaient tous des amis plus ou moins proches de... de Valente ! Allons-y, balançons. Tu dois savoir que nous habitons ensemble. Ils appartenaient aussi à son syndicat. Parfois ils venaient à la maison. »

« Et Abel ? »

« Je ne le connaissais pas mais peut-être Valente et les autres. Sa vêtementerie était réputée. Beaucoup de monde la fréquentait... mais pas moi. »

« Edoé nous a dit le contraire ? »

Ludina se recroquevilla sur son siège et se couvrit le visage des mains pour cacher son trouble. Son esprit était une eau noire dont Sacha percevait des remous lointains. Elle demeura un moment avant de reprendre la parole.

« Si elle le dit ! Elle m'en présente tellement que je ne sais plus faire le compte ! Peut-être ? Je ne me souviens pas. Je n'aime pas trop ces soirées. Je ne fais pas toujours attention au visage de ces garçons. »

« Alors pourquoi y participes-tu ? »

« Parce qu'elle aime ça ! Parce qu'elle me le demande... »

« Il paraît que c'est toi qui a introduit Eda dans ces soirées ? »

Ludina se leva et se mit à s'agiter dans la pièce, contenant mal sa nervosité et sa confusion. Quand elle se fut un peu calmée, elle vint se planter devant les deux fées enquêtrices et demanda d'un ton irrité et vindicatif :

« Et qu'a-t-elle dit encore ? Que c'est moi qui suis la meurtrière ? »

« Elle n'est pas allée jusque-là. »

« Elle n'a pas osé ! Après tout ce que j'ai fait pour elle ! » Sa voix était devenue plaintive, son corps agité de mouvements incontrôlés.

« Tu n'as pas répondu à ma question sur Eda ? »

« Avec Eda, on ne peut rien refuser... »

Sacha pensa qu'elle refusait peu de choses...

« C'est donc Eda qui t'as demandé de participer à ses réunions ? »

« Oui... » Souffla-t-elle. Elle se reprit. « C'est mon ancienne maîtresse d'École et j'ai gardé des liens avec elle... Parfois, elle me demande... Mais participer est un bien grand mot. Elle ne fait que regarder... » Sacha sentit qu'elle se gardait de la crypte où elle avait enfoui sa vérité.

« C'est toi qui était avec Natanaël, la nuit de son assassinat. »

Ludina se mit à trembler comme une feuille prise dans le vent et voltigea aux quatre coins de la pièce, hagarde.

« Non ! » Gémit-elle. « Non ! »

« Tu étais avec Eda ou avec Edoé ? »

« Ni l'une ni l'autre ! Laissez-moi ! Je ne l'ai pas tué ! Je le jure ! Ce n'est pas moi »

Elle s'était soudain arrêtée, le dos à la porte. Elle lança trop vite son charme d'immobilisation et se retourna vivement pour l'ouvrir. Lula était déjà plantée en plein dans le passage pour l'arrêter. Sa magie ne fonctionnait pas ! Sacha l'attrapait déjà par le bras. La peur et la colère décuplèrent les forces de Ludina qui cette fois-ci s'appliqua. Elle envoya une violente bourrade vers Sacha qui la lâcha de douleur et de surprise. Pied d'un côté, main de l'autre, elle projeta les deux enquêtrices dans le bureau et Lula derrière elle. Elle dépassa la jeune fée provisoirement hors de combat et courut dans le couloir. Lula se releva, vite rejointe par Portia qui avait déjà bondi vers la porte et butée contre Sacha qui avait sauté de côté pour l'éviter et basculait contre un fauteuil, cul par dessus tête. Ludina se retourna dans sa course et leur lança un nouveau charme, trop vite expédiée. Portia et Lula ne furent que ralenties. Pendant ce temps, Sacha se redressait et sortait en courant du bureau. Elle butta contre les deux fées qui tentaient de se libérer et s'ébrouaient. Elles réussirent à se précipiter ensemble dans la cour. Ludina avait déjà disparu. Elle connaissait le dédale des entrepôts comme sa poche. Il était illusoire de la retrouver. Même Lula, bonne traceuse, la perdit. Ludina avait retrouvé l'usage de sa magie et dissimulée sa trace.

Elles reprirent leur souffle.

« Minables ! » Lança Sacha en expirant.

« Trois contre une ! Nous sommes un peu rouillées ! » Commenta Portia

« Je reprends l'entraînement demain. » Dit Lula.

« Où crois-tu qu'elle soit allée ? Eda ou Edoé ? » Demanda Sacha.

« Même si elle est un peu faible de caractère, elle est intelligente ; elle doit se douter qu'on va commencer à la chercher de ce côté-là. » Portia contemplait la ligne des bâtiments qui s'alignaient de l'autre côté du quai. Derrière, les premières maisons se pressaient formant un dédale d'étroites ruelles montantes vers la colline où elles s'adossaient.

« Je contacte Aradante pour qu'elle s'assure de Valente. »

Portia la regarda en levant un sourcil interrogatif. Lula lui fit un clin d'œil.

« Je me doutais bien que tu avais des ressources secrètes... »

« Aradante, une ressource ! Elle rirait bien d'être ainsi qualifiée ! Éloignez-vous un peu. J'ai besoin de me concentrer. Votre présence me gène.»

Cinq ans aprèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant