Le récit de Ludina

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« Quand Ludina était élève à l'École Supérieure de Magie, elle tomba amoureuse d'une jeune fée rencontrée sur le marché. Madi accompagnait souvent son père qui vendait des petits pains, des beignets, des confiseries à base de miel, d'amandes et de fruits secs. Ludina déambula de plus en plus souvent du côté de la place du marché et prit l'habitude de s'approvisionner de gourmandises à leur étalage. Elles rompirent leur timidité mutuelle et firent lentement connaissance. Au début, elles se contentèrent de se promener dans la ville basse, au gré des ruelles et des fontaines. Mais l'amour se fit plus pressant et les poussa à chercher un lieu plus intime. A cette époque, les règles et la discipline étaient beaucoup moins strictes à l'école. Les élèves pouvaient entrer et sortir en dehors des cours. Elles pouvaient inviter qui elles voulaient dans la journée, même des garçons, à conditions de rester dans la première cour et de ne pas s'aventurer plus loin qu'à déambuler dans la galerie. La nuit, les portes étaient closes. Mais certaines invitées parvenaient à s'introduire jusque dans les chambres et il régnait entre les élèves une complicité solidaire et compréhensive, une tolérance bienveillante de la part des maîtresses. Quand l'une d'entre elles invitait une amie, ou un ami, les cohabitantes de la chambre s'éclipsaient discrètement pour laisser les amantes tranquilles. Ludina et son amie s'aimèrent d'abord ainsi mais leur désir devint plus exigeant qu'une rapide étreinte suivie d'une séparation. Ludina tenta de convaincre Madi de postuler à l'école. La jeune fée n'avait point d'ambition. Elle ne voulait que continuer à fabriquer ses petits pains et ses beignets, ses délicieuses confiseries auprès de son père qu'elle adorait. Elle avait peu de disposition pour la magie, mais beaucoup pour l'amour qu'elle mettait en toute chose qu'elle faisait. Ludina parvint à forcer la petite porte côté Roten ; la serrure était simple et facile à crocheter. L'été, les nuits étaient chaudes et l'amour à la belle étoile, sur le tapis d'herbes sèches et odorantes avait quelque chose d'enivrant. Ludina en gardait un souvenir vivace. Sans doute avait-elle vécu là sa seule relation amoureuse sincère. Son amie était douce et tendre et sa seule main posée délicatement sur sa joue suffisait à la transporter de bonheur. Mais une nuit, elles aperçurent une ombre, derrière un bosquet. La silhouette s'approcha d'elles. Avec terreur, Ludina reconnut sa maîtresse en écritures magiques, la sévère Eda. Madi fut chassée durement, Ludina réprimandée et punie ; pendant un mois, elle ne put ressortir. Elle tenta de communiquer avec son amante, mais Eda veillait à ce qu'aucun message ne parte. Quand elle put enfin ressortir, ce fut pour se précipiter sur la petite place où elle avait l'habitude de trouver l'étal de son amie. Elle trouva son père, mais point de Madi. Après avoir fait quelques tours et détours, Ludina osa l'aborder et demander de ses nouvelles.

« Elle est partie ! » répondit-il à sa question en baissant la tête. Ludina ressentit toute sa tristesse dans le ton de sa voix.

« Partie ? »

« Elle a dit qu'elle voulait faire le tour du monde, découvrir toutes les cuisines et ramener peut-être un jour les recettes à Marsa. »

Ludina le regardait avec un air stupide.

« Elle qui avait juré de ne jamais quitter sa ville ! Je n'ai pas compris... Je lui ai parlé de toi. J'avais bien vu que vous vous fréquentiez. Elle m'a répondu que ça n'avait pas d'importance. Que tu ne valais pas le coup, que tu étais inconstante et qu'elle avait autre chose à faire de sa vie que de t'espérer. »

Ludina prit ces paroles comme un coup de poing. Elle sentit ses larmes brouiller sa vue. Elle se détourna rapidement et s'enfuit. Elle ne comprenait pas ce qui c'était passé. A l'époque, elle était encore naïve. Après, bien plus tard, elle pensa qu'Eda l'avait menacé ou avait dit des choses malveillantes sur elle, où les deux. Madi n'était jamais revenue à Marsa. Son père tenait toujours son étal sur le marché. Ses confiseries étaient moins bonnes et elles se vendaient moins bien. Au début, Ludina demanda régulièrement des nouvelles. Madi envoyait des petits paquets d'herbes ou d'épices à son père, des différents pays visités. Mais elle ne parlait pas de revenir. Ludina ce mit à éviter la place et elle enfouit profondément sa peine.

Cinq ans aprèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant