Chapitre 9

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6 novembre 2017

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6 novembre 2017

          La porte de la voiture claque lourdement. Partir. Vite. Ne pas se retourner. Ne pas céder à ce truc qui me tord le ventre et qui m'intime de repartir me blottir dans mon lit, depuis que je l'ai quitté ce matin. Ne pas écouter cette petite voix dans ma tête qui me dit de sans cesse que ce n'est pas une bonne idée, que c'est trop tôt. Ce n'est pas trop tôt. Ça a déjà assez duré. 

          Derrière moi, j'entends le véhicule démarrer. Ça y est. J'y suis. Je n'ai plus le choix. Ma mère avait tenu à m'emmener au lycée aujourd'hui. Mauvaise idée. Tout le long du trajet, ma bouche m'a suppliée de la laisser dire ces trois mots qui m'auraient permis de retourner à la maison. Mais j'ai tenu bon. Je lève la tête, et enfin, je reconnais ce brouhaha ambiant, cette atmosphère de lycée polluée par les fumeurs matinaux. Cet empressement à rentrer dans l'enceinte du lycée, ou, au contraire l'envie de rester devant sans jamais y mettre les pieds. 

          Comme tous les matins, je cherche Alex dans la foule. C'est Charlotte que je trouve à la place. De bonne humeur, elle s'approche, me dépose un bisou sur chaque joue, me dit qu'elle est contente de me voir, me fait promettre de venir la voir dans la journée, et repart tranquillement vers sa bande d'amis. 

          Je sonde du regard encore une fois la marée d'élèves. Pas d'Alex en vue. Abandonnant mes recherches, je me dirige vers la vie scolaire. De nouveau, le truc vient se nicher dans la chaleur de mon ventre pour me tordre les boyaux. Je n'ai absolument pas envie d'y aller, et encore moins de me justifier. Ils savent déjà de toute façon. Mais ils vont me poser des questions me demander comment ça va, si je tiens le coup. Alors que je n'ai pas envie d'en parler. Pas à eux, du moins. Pas à quelqu'un qui va me tirer les vers du nez pour ensuite aller s'empresser de tout raconter à ses collèges. Je préfère ne pas me voiler la face. 

         Le truc dans mon ventre s'étend alors que je me dirige vers le bureau vitré. Je jette un coup d'œil à l'intérieur. Comme d'habitude, la salle est vide. Tant mieux. Je n'aurais pas à attendre mon tour sous le regard des autres élèves, ou pire, de répondre aux questions des pions devant eux. 

- Juliette ! Bon retour parmi nous !

         Je souris légèrement à la surveillante. C'est exactement à elle que je pensais tout à l'heure, en affirmant qu'elle répéterait soigneusement à tout le lycée que je suis en deuil. Méfiante, je réponds à ses questions par des onomatopées. On ne sait jamais ce qu'elle pourrait comprendre de travers. 

 - Tu vas mieux, quand même ?

           Et voilà. Aussitôt, l'image de ma mère m'annonçant que c'est fini envahit mon cerveau. Un étau se referme dans ma poitrine, emprisonnant mon cœur, des larmes salées envahissent mes yeux, tandis que je papillonne des paupières pour les empêcher de couler.  Une boule se forme dans ma gorge et je déglutis avec difficulté. Soudainement pressée de m'échapper de cet aquarium, je récupère mes affaires, bredouille un vague "oui" à la surveillante qui m'observe toujours avec un sourire en coin, et me rue vers la porte, ignorant le joyeux "bonjour" que me lance un autre surveillant en rentrant. 

         Aussitôt sortie, un Alex tout essoufflé me saute presque dessus.        

      - Ju' ! Je t'ai cherchée partout !

          Je rigole face à ses joues rouges, son ton voulait clairement dire "qu'est-ce que t'as encore foutu ?". J'ignore le presque-reproche et lui souris avant de l'entraîner dans les couloirs de l'établissement. 



           Quatre heures et une centaine de bâillements plus tard, je pose enfin mes fesses sur les vieux sièges matelassés du kebab. Le ventre d'Alex gargouille depuis une bonne heure, ne manquant pas de me faire rire à chaque fois. Cette fois, je ne suis pas la seule à rire. Les rires de Charlotte et Adélaïde se mêlent au mien, ayant pour effet immédiat de colorer les joues de mon meilleur ami de rose.

- Oh, te vexe pas Alex, tu sais qu'on t'aime bien ! lance Charlotte à l'intéressé. 

           Sa voix est rocailleuse, un peu cassée, comme si elle fumait. Elle accompagne sa tirade d'un clin d'œil tout en se rapprochant de moi. 

          Sans prévenir, elle attrape la canette rouge qui trône devant moi et la porte à sa bouche. Ses yeux narquois cherchent les miens, probablement écarquillés, alors qu'elle boit quelques gorgées. Quand finalement elle la repose, nos yeux se posent sur les visages éberlués des membres de la table. 

- Quoi ? On s'est embrassées il y a une semaine, on peut bien boire dans la même canette !

          Je sens un sourire se dessiner malgré moi sur mes lèvres. Elle m'amuse. Clairement, elle me provoque, elle attend ma réaction. Adélaïde a levé les yeux au ciel, puis les a redescendus en soupirant. Alex, lui, arbore un petit sourire en coin - le même que moi - lui aussi attend ma réaction. 

         Je réfléchis à toute vitesse. Je pourrais presque entendre les engrenages rouillés de mon cerveau tourner. Enfin, une idée traverse mon esprit. 

          A mon tour, j'attrape la canette et avale le contenu, remarquant au passage Alex qui pouffe de rire, Adélaïde qui s'étouffe avec ses frites, Charlotte qui sourit de toutes ses dents, et les garçons assis à l'autre bout de la table qui applaudissent. 

        Je repose la canette là où elle se trouvait - entre Charlotte et moi - et entame à mon tour mes frites, l'air de rien. Une fois de plus, je promène mon regard sur la tablée. Les garçons - y compris Alex - semblent être passés à autre chose, à savoir une discussion animée à propos de foot, rugby, ou je ne sais quel sport ; Charlotte continue de manger ses frites, le sourire aux lèvres ; quant à Adélaïde,  la scène ne semble pas lui avoir plu, elle a les yeux rivés sur son téléphone, et ne bronche plus. 

          Encore une fois, je ne peux pas m'empêcher de sourire, c'est peut-être le début de quelque chose. 

publié le 14.05.2018

correction et mise en page le 17.08

Avant que le Soleil ne se CoucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant