Chapitre 33

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05 mars 2018

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05 mars 2018

          En passant les portes du lycée ce matin, je me rends compte que je n'ai jamais été aussi nerveuse d'y retourner. La rentrée après les grandes vacances, celle après Toussaint, rien n'est comparable. Mes mains sont moites, un poids me compresse la poitrine, m'empêchant de respirer correctement, et mes jambes tremblent alors que je m'approche de l'escalier. Sarah m'a répété des centaines de fois de ne pas stresser, avant qu'elle ne monte dans son train hier matin. Elle m'a dit que tout irait bien. Que pourrait-il se passer de mal, de toute façon ? J'ai soupiré et haussé les épaules.

          Des centaines de scénarios catastrophe défilent dans ma tête. Et si l'un d'eux se déroulait vraiment ? Serais-je la seule à le savoir ? À le ressentir ? Ou serions-nous deux ? Ou même trois, quatre, cinq ? Pourrais-je le cacher, l'enfouir tout au fond de moi, de sorte que personne ne la retrouverait jamais ? Ou serait-ce aussi transparent qu'une vitrine un jour de soldes ?

           Maintenant, je me sens comme un animal qui a vécu toute sa vie en captivité, et qu'on relâche dans la nature sans préavis. Je suis désarmée. Pas préparée, et je ne sais pas comment continuer à survivre.

          Je regarde autour de moi. Aucun visage familier n'est là. Pendant quelques secondes, je ferme les yeux. Une grande inspiration, et je me remets en marche. Mon pas est plus sûr alors que je monte le grand escalier de béton. Une fois parvenue à bout des marches, je me retourne. J'essaye d'agir comme d'habitude. Aujourd'hui est un jour normal, Juliette. Il n'y a rien qui pourrait mal se passer. Mais j'ai beau me répéter ces phrases en boucle, rien ne fait s'envoler l'appréhension qui pèse sur ma poitrine.

          Comme tous les jours, je scrute la foule à la recherche d'Alex. Au bout de quelques secondes seulement, il se matérialise à mes côtés.

— Oh, mais tu sors d'où ? lui demandé-je, surprise de ne pas l'avoir vu arriver.


— En fait, ça fait un moment que je t'attends. T'as mis du temps à monter. Il y a quelque chose qui va pas ?

           Je soupire ne nouvelle fois. Il lit en moi comme si j'étais un livre pour enfants. Quand je retourne la tête vers lui, sans avoir dit un mot, son regard s'illumine soudain, et il ouvre la bouche, fronce les sourcils, et pince ses lèvres à nouveau. Puis, il penche la tête. 

— Attend, comment ça s'est passé avec Charlotte ?

           Ses sourcils se froncent une deuxième fois. 

— Tu m'as pas menti ?

           Je secoue la tête vigoureusement.

— Non, bien sûr que non.

           Je déglutis difficilement, sur le point de tout déballer, quand la sonnerie m'interromps. 

— Merde, 'faut que j'y aille.

           Alex me presse le bras.

— Tu me racontes tout à dix heures, hein ?

           Je hoche la tête, et le regarde s'éloigner. À mon tour, je me dirige vers les bâtiments de cours, le pas traînant. 

— Hey ! Juliette ! Attends !

         Je me retourne à la voix qui m'appelle et découvre Dorian, tout essoufflé, qui s'avance en courant vers moi. Arrivé à ma hauteur, il s'arrête brusquement et se plie en deux, tentant de reprendre son souffle. Il relève la tête et son regard se pose sur moi.

— Je voulais te voir.

          Sa voix est hachée. Enfin, il se relève et d'un signe de tête, m'invite à le suivre vers les bâtiments. Pendant quelques instants il ne dit plus rien, et je commence à redouter la suite. À nouveau, les scénarios catastrophe reviennent. Et si il savait quelque chose, et que ça ne lui plaisait pas ? Et si — pire — il recommençait à me draguer ?

— Euh...

          Il baisse la tête et ébouriffe ses cheveux d'une main. Les lycéens ont déserté les couloirs.

— Charlotte m'a raconté pour elle et toi.

           Ma respiration se bloque, et sans le vouloir, je recule d'un pas. Il écarquille les yeux et sa main se pose sur mon poignet, m'empêchant de partir.

— Hey, je vais rien faire ! Je voulais juste que tu saches que je suis super heureux pour toi. Je m'en doutais un peu, pour être honnête, alors... je suis content pour vous deux, sache-le.
Je hoche la tête, la gorge nouée.

— Merci.

           À son tour, il m'octroie un hochement de tête et pointe du doigt les escaliers dans une question silencieuse. Je lui fais signe que non, et m'éloigne dans le couloir. Derrière moi, je l'entends se diriger vers les marches et les gravir quatre par quatre. Quand je suis certaine qu'il ne me voit plus, je m'arrête et soupire. Tout poids a disparu de ma poitrine. Charlotte l'a dit. Elle a raconté. Elle a parlé de nous deux. Et ça signifie beaucoup. 

          Deux heures plus tard, je sors de la salle de cours, l'impression qu'un vent de légèreté a soufflé sur mes feuilles de cours depuis mon entrevue avec Dorian. Comme à son habitude, Alex m'attend devant la porte de la salle. Un sourire amusé se dessine sur ses lèvres quand il me remarque mon changement d'humeur, mais il ne dit rien et me suit en direction des deux grandes portes battantes. Encore quelques pas, et je m'assois lourdement sur un banc en béton. Alex ricane avant de soupirer d'un air désemparé.
— Je viens de passer les pires deux heures de ma vie.

          À mon tour, je ricane, puis tapote la place libre à côté de moi. De la même façon que moi quelques minutes plus tôt, il se laisse tomber à ma droite. 

— La philo' c'est mon pire cauchemar.

          Je roule des yeux. 

— C'est l'enfer.

— Qui a pu inventer une chose pareille ? Je veux dire, humainement, c'est pas possible.

          Je hoche la tête, le regard perdu dans le vague. On a déjà eu cette conversation des dizaines de fois, et elle a toujours le même effet : critiquer la philo' me fait penser à ma vie et à toutes sortes de choses inutiles. Paradoxal, quand on y pense. Alex a l'air dans le même état que moi, et je me dis que pour les autres lycéens, l'image qu'on renvoie ne doit pas être celle de deux terminales à la sortie de cours de philo. 

          Une voix féminine derrière moi me confirme l'hypothèse :

— Oh, on dirait bien que certains d'entre nous ont quelques grammes dans le sang !

          La remarque d'Adélaïde fait réagir Alex et celui-ci rigole, gêné. La brune s'assoit à nos côtés, et bientôt, Matt arrive, en compagnie de Charlotte. À sa vue, mon cœur s'affole et je ne contrôle plus le sourire qui naît sur mes lèvres. Puis, alors que je ne m'y attendais pas, une angoisse monte le long de mon estomac. Comment va-t-elle réagir ? Doucement, je ferme les yeux et inspire. Quand je les ouvre à nouveau, elle est devant moi. Elle se penche vers mon visage et ses doigts viennent chercher les miens. Sa bouche se pose sur la mienne avec la douceur d'un papillon, et de nouveau, mes paupières se ferment pour profiter de l'instant. Très vite, elle s'éloigne, mais sa main reste attachée à la mienne. Elle me couvre d'un regard tendre, et je me fais la réflexion que rien n'aurait put être mieux. Le regard d'Alex semble emplit de fierté, tout comme celui d'Adélaïde. Même son sourire gêné n'efface pas l'affection qui brille dans ses yeux. 

           Alors, je passe mon bras autour de la taille de Charlotte et la serre contre moi ; et rien au monde ne me paraît plus normal.

publié le 18.02

Avant que le Soleil ne se CoucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant