Épilogue

652 37 14
                                    

          Il n'y eut pas de soirée chez Charlotte. Pas d'anniversaire fêté avec bruit. Juste le vide d'un repas de famille. Les regards de ses parents. Fusillants. Jamais personne d'autre ne devrait savoir. N'avait-elle pas honte ?



         Après que madame Mireur ait claqué la porte, Juliette n'avait pas pleuré.



          Jeanne s'approcha de sa fille. Juliette était assise contre le mur, ses bras enroulés autour de ses mollets qu'elle tenait fermement contre sa poitrine. Sa tête était posée contre ses genoux et Jeanne ne pouvait pas voir son visage. Doucement, elle passa la main contre les cheveux de sa fille, avant de s'asseoir à côté d'elle et de passer un bras protecteur autour de ses épaules. La jeune fille frémit et releva la tête. Dans sa poitrine, son cœur était lourd. Si lourd qu'il semblait dévaler une falaise et s'écraser avec fracas en bas. Elle adressa un sourire triste à sa mère. Celle-ci posa sa tête contre la sienne et ne dit rien, continuant de la bercer tendrement. Elle se laissa aller quelques minutes, soudainement revenue dans son enfance, quand elle faisait des plats à la piscine et que Jeanne lui faisait des câlins pour la consoler.

          Puis Juliette prit une grande inspiration et se leva. Ses genoux tremblaient, ses jambes étaient flageolantes. Elle tenait à peine dessus. Elle épousseta sa combinaison – c''était la même qu'elle portait pour son rendez-vous avec Charlotte quelques semaines avant, remarqua-t-elle – et se dirigea vers la salle de bain. Les yeux brillants, elle saisit son maquillage. Pendant des minutes, elle évita son regard dans le miroir. Qu'y verrait-elle ? Elle ne pouvait pas regarder. Pas faire face à la tempête qui agitait sa tête. Jeanne attendit quelques secondes avant d'entrer dans la salle de bain. Un ride barrait son front.

— Laisse, dit-elle. On reportera. On a pas besoin de sortir ce soir.

          Juliette secoua la tête.

— C'est bon. T'inquiètes pas.

          Sa voix était brisée. Elle ne savait même plus si elle pensait ses mots. Elle ne savait plus si elle pensait. Son cerveau s'était comme déconnecté. Trop d'informations, trop de déceptions, trop de désillusions. Elle ne savait même plus comment respirer.

          Jeanne l'attrapa par les épaules. Elle hésitait. Ses yeux se plongèrent dans ceux de sa fille. Finalement, ce fut Juliette qui parla :

— T'as raison. Je vais dormir.

          En quelques secondes, elle disparut dans sa chambre. 



          Jeanne avait les yeux cernés quand elle quitta l'hôpital après l'opération. En quelques jours, elle semblait avoir vieilli des années. Angelle lui avait proposé un café chez elle ; Jeanne avait refusé. Elle avait à faire. Le rythme effréné d'interventions n'était pas la cause de ses insomnies : elle aurait préféré que ce le soit, d'ailleurs. Elle fut rapide aux casiers. Le patient ne se réveillerait pas avant longtemps, elle pouvait quitter l'hôpital. Négligeant sa voiture garée sur le parking des employés, elle tint son anorak à deux mains sous le vent violent et se hâta vers les grandes rues.

          Difficile de dire si la principauté se réveillait à cette heure-ci. Les managers se dirigeaient sans aucun doute vers leur bureau, mais les riches héritiers qui peuplaient la ville profitaient de la matinée en paressant dans le lit. C'était là un tableau habituel. Jeanne marcha peu. Les bureaux où travaillait Pierrick ne se situaient qu'à quelques centaines de mètres de la clinique. Pourquoi le couple n'en profitait-il pas pour déjeuner ensemble de temps à autre ? Jeanne releva la tête. Ce serait une idée à proposer à son mari.

          Le vent courbait les palmiers et agitait les bateaux du port, visible à quelques rues de là. Arrivée à destination, Jeanne s'engouffra dans l'immeuble. Il était encore tôt, observa-t-elle. L'accueil n'était même pas encore ouvert. Mais peu importait. Elle savait qu'elle pourrait trouver Pierrick à son bureau, aussi tôt soit-il. Elle utilisa l'ascenseur sans même prendre la peine de signaler sa présence dans le bâtiment.

          Devant la porte du bureau de son mari, son cœur battait la chamade. Elle frappa quelques coups sur la porte puis entra sans attendre l'autorisation. Comme elle le pensait, Pierrick travaillait, assis à son bureau. Il releva la tête en l'entendant rentrer.

— Jeanne ! Je pensais pas te voir là.

          Un sourire éclairait ses lèvres, et il se leva de sa chaise, se dirigeant vers sa femme. Il se pencha, déposa un baiser sur ses lèvres.

— Du café ?

          Elle hocha la tête.

— Volontiers.

          Le voyant se diriger vers le couloir, elle le retint par le bras :

— On peut rester ici ? Il faut que je te parle.

          Pierrick déglutit. Calmement, il se dirigea vers la machine qui trônait majestueusement dans un coin de son bureau et prépara les boissons sans un mot. Sûrement a-t-il peur de ce que sa femme a à lui dire. Se serait-elle déplacée jusqu'à son bureau si ça n'était pas important ? Elle aurait attendu le soir. Elle aurait dû veiller, sûrement, mais elle aurait attendu. Alors pourquoi était-elle là ?

          Quand il revint vers elle, les cafés en mains, elle s'était assise dans l'un des fauteuils de cuir qui bordaient le bureau. Elle se réchauffa quelques secondes les mains contre la tasse fumante, avant de débuter de but en blanc :

— Juliette ne va pas bien. Je m'inquiète.

          Pierrick releva la tête, sans pour autant prononcer un mot. Il avait froncé les sourcils.

— Depuis une semaine. Depuis que l'autre folle a débarqué, en fait. Elle fait semblant d'aller bien, mais je vois bien que quelque chose ne va pas.

— Et tu voudrais faire quoi ?

          Jeanne but une gorgée, et prit une inspiration.

— J'en ai parlé à une collègue. Elle pense que ce serait bien si Juliette allait voir un psychologue, ou un psychiatre.

          Il hocha la tête.

— Il faut lui en parler.

          Elle imita son geste.

— Je sais. Je voulais juste ton avis.

— Si elle est d'accord, qu'elle y aille.

          Encore une fois, elle acquiesça. Puis, sans même toucher à son café, elle se leva, attrapa sa veste et marcha en direction de la porte.

— Je vais rentrer. J'ai eu une longue nuit.

          Pierrick ne bougea pas. Il hésita quelques secondes. Devait-il la retenir ? Il lui dirait qu'elle pouvait compter sur lui. Qu'il la rassurerait, toujours. Puis il se ravisa. Il ne savait même pas comment se rassurer lui-même.





          Les doigts de Jeanne agrippaient le volant avec une force insoupçonnée. Ses jointures devenaient blanches, ses mains tremblaient. Elle était inquiète. Stressée. Elle regarda sa montre, incapable de poursuivre la lecture du livre posé sur ses genoux. Le temps ne passait pas. Juliette était entrée dans l'hôpital 25 minutes auparavant. Elle ne sortirait pas de sitôt, et Jeanne le savait. Elle le savait, mais elle continuait tout de même à guetter sa fille à travers les portes coulissantes.

           Après tout, elle ne savait pas. Peut-être que Juliette allait bien, et Marie-Anne la laisserait partir après quelques minutes. 

Avant que le Soleil ne se CoucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant