Chapitre 21

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17 janvier 2018

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17 janvier 2018

            Selon Adélaïde, le meilleur endroit pour réviser en hiver, c'est le bar à chat de la ville. Après seulement cinq minutes passées ici, je peux affirmer qu'elle a tort. Un chat est posé sur mon livre, un autre s'amuse à passer des genoux d'Alex aux miens toutes les cinq secondes, et pire encore, des chatons se baladent sous notre nez depuis notre arrivée, nous donnant plus envie de les caresser, que de se pencher sur nos cahiers. Un coup d'œil autour de moi suffit à se rendre compte de la situation : 

          Dorian et Matt n'ont même pas sorti leurs affaires, trop occupés à jouer avec un félin au poil roux. Alex a abandonné ses cours de physique depuis deux bonnes minutes, et caresse  un imposant animal couché sur la table ; Charlotte se concentre pendant une dizaine de secondes avant de céder et caresser un chat plus blanc que neige qui semble l'avoir adoptée, quant à Adélaïde, c'est la seule qui semble pouvoir travailler, écrivant et caressant d'une main distraite le matou gris qu'Alex ne lâche plus des yeux. 

          Bref, cette séance de révisions n'a pas commencé il y a plus d'un quart-d'heure, mais c'est déjà un désastre. 

          À mon tour, j'essaye de me concentrer sur le livre de maths ouvert devant moi. Il n'y a rien à faire, les chiffres et lettres se mélangent, les symboles s'inversent, le contenu entier du livre se transforme en une sorte texte écrit dans une langue qui n'existe pas. Je ferme les yeux et presse mes paumes contre mes paupières. Il faut que je fasse de l'ordre dans ma tête. Mais comment faire ? Il y a une semaine, j'aurais commandé un thé pour moi, un café pour Charlotte. Je me serais assise à côté d'elle, et je l'aurais simplement regardée travailler. Ou alors, elle aurait poussé son livre, pris le café d'une main, et joué avec mes doigts de l'autre. On aurait sûrement discuté un peu - pas longtemps, juste le temps de finir nos boissons - puis on se serait remises au travail. Peut-être qu'elle aurait gardé ma main dans la sienne. Et les équations seraient devenues tout de suite plus simples à résoudre. 

          Sauf qu'on est pas il y a une semaine. Ça fait bien une semaine qu'elle m'ignore. Un peu plus, même. Et ça me tue. Elle ne m'ignore pas au sens propre du terme, disons plutôt qu'on est revenues à la case départ. Elle me dit bonjour, et c'est tout. La bise, rien d'autre. Alors, je me demande si elle tient à moi autant que moi, je tiens à elle. Et ça fait mal. Ça fait beaucoup trop mal. 

            En essayant tant bien que mal de chasser ces pensées de ma tête, je me replonge dans les calculs qui s'étalent devant mes yeux. Si seulement je plongeais aussi bien dans les calculs que dans les piscines, ça m'éviterait bien des soucis. 

            J'ai tellement de mal à rester concentrée que je calcule une dizaine de fois 7 x 8, non sans difficultés, avant de finalement le coucher sur ma feuille, estimant que, pour une fois, écrire les calculs ne feraient pas de mal à mon cerveau. 

           Pour la énième fois, je relève la tête des pages. Tout le monde travaille plus ou moins. 

           Je décide d'aller me chercher un thé. Peut-être que ça me remettra les idées en place, qui sait ? Les chats se frottent contre mes jambes tandis que j'avance vers le comptoir. Une fois ma boisson entre les mains, j'entreprends de retourner à la table où nous étions assis.

          Je pose le gobelet avec précaution, et m'assois le plus doucement possible, histoire de ne pas faire trop de bruit. Peine perdue. Charlotte relève la tête au même moment que moi, nos regards se croisent. 

          Dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps, c'est une explosion. Son regard n'exprime rien de particulier. Elle me regarde comme elle me regardait avant. Je sens mes mains devenir moites, alors qu'elle continue de me fixer, ses deux billes accrochées aux miennes. Aimantées aux miennes. Je retiens mon souffle. Parce que j'aimerais que ce contact ne cesse jamais. Parce que, en une semaine, ça n'a pas changé, je pourrais toujours passer l'éternité à regarder ses yeux ; son âme. 

          Je m'y perds toujours. Je perds pied, et, pour une fois dans ma vie, je n'arrive pas à nager. Ou peut-être que je ne le veux pas. 

           Et puis je la vois. Cette étincelle dans son regard. Et les larmes me montent aux yeux. J'aurais préféré l'étincelle de la fascination, de la tristesse, de la colère. Mais pas celle-là. 

          Parce que je lis dans ses yeux la résignation. La détermination. Ça aurait pu être bon pour moi, mais je sais que ça ne l'est pas. Et je ne me trompe pas. Une demi-seconde plus tard, son regard redevient dur et se détourne sur les fiches bristol étalées devant elle. 

          Et encore une fois, mon cœur se brise. J'ai mal, et ça ne va pas mieux. Non, c'est même pire. Je prends une gorgée de mon thé. Dommage qu'il n'y ai pas d'alcool dedans. 

         Je ferme d'un coup sec mon cahier, avant d'empoigner le livre de philo. Au moins, pas besoin de calculer pour cette matière. Juste de dire des trucs sans aucun sens, que la prof prendra comme un chef-d'oeuvre. 

          Ma détermination aurait pu durer, mais est vite dérangée par un couple qui entre dans le bar, où nous étions seuls jusqu'à présent. Les chats convergent vers la porte, sauf le gros matou gris qui dort désormais sur notre table. Je ne me retourne pas, déterminée à rester concentrée sur le texte, mais le soupir agacé d'Adélaïde me fait lever la tête. 

          Cette dernière, doublée de Dorian, regardent d'un mauvais œil les deux personnes. Charlotte lève à son tour les yeux, et fronce les sourcils. Alors, je me retourne, et je comprends. Le couple, que j'avais au début pris pour un couple hétéro, n'est autre que deux hommes ensembles qui se tiennent la main. Je retourne la tête, et croise le regard dégoûté d'Adélaïde. 

          Un déclic se fait dans ma tête, et je cherche le regard de Charlotte. Je ne le trouve pas, elle a de nouveau baissé les yeux sur ses notes. Ce que je vois, en revanche, c'est sa mâchoire, serrée au maximum. Et sa réaction fait tout empirer : j'ai l'impression que le vide s'empare de moi. 

publié le 16.09

Avant que le Soleil ne se CoucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant