Chapitre 3

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3 octobre 2017

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3 octobre 2017

         Mon stylo glisse tout seul sur la feuille. Un trait par ci, un trait par là. Le prof continue de déblatérer son cours, mais je ne l'écoute pas. Je dessine. Je dessine pour lutter contre l'envie immensément forte de me retourner pour croiser son regard, comme chaque semaine à cette heure-ci. Je le sens, fixé sur moi depuis le début de ce cours ennuyant. Un regard que je connais presque par cœur maintenant.

          C'est bizarre comme certaines personnes vous donnent envie de vous retourner, alors que d'autres sont complètement transparents. Comme l'autre, là-bas. Un garçon à la peau noire qui me fixe depuis le début du cours. Peut-être a-t-il entendu ma conversation avec Alex, tout à l'heure. Ou peut-être pas.

- Mademoiselle Lecocq ?

          Je relève la tête, en attente de la suite mais rien ne vient. Le prof, un homme au front dégarni à l'approche de la cinquantaine, continue de me fixer, ses yeux semblant attendre une réponse.

- Oui ?

- Pouvez-vous répondre à ma question ?

           Non. Je ne peux pas. J'essaye de repasser dans ma tête les dernières minutes de cours, mais je n'ai rien écouté, trop occupée à reconstruire la discussion de ce matin, trop occupée à trouver ce détail qui aurait pu tout changer, trop occupée à trouver une autre issue.

- Bon, puisque vous ne semblez pas vouloir rester avec nous, mademoiselle Lecocq, vous ne verrez sûrement aucun inconvénient à descendre en permanence faire un travail supplémentaire ?

          Je lâche un soupir. Ce n'est pas comme si j'avais le choix. Alors que je range mes affaires, la voix du prof reprend :

- J'espère que vous pouvez descendre jusqu'à la vie scolaire sans vous perdre dans les couloirs sans fin et enchevêtrés de ce lycée ? En d'autres termes, je ne ferai pas perdre une minute de cours à un des élèves de cette classe par votre faute en étant obligé de vous affubler d'un accompagnateur. J'espère que c'est clair."

          C'est clair. Sur ces mots, il se dirige vers la porte et l'ouvre, me laissant le passage. Je me lève et pars, la tête haute. Puis l'ambiance éclairée et quelque peu chaleureuse de la classe change. Les couloirs du lycée sont peints en noir, et la seule source de lumière vient des fenêtres situées dans la cage d'escalier au bout du corridor.

          Prise d'une soudaine impulsion, je m'élance vers le côté éclairé et monte à moitié la volée de marches. Je m'assois sous la fenêtre, calée contre le mur et sors mon cahier de dessins de mon sac. Je ne sais pas combien de temps je reste là, mon crayon faisant des allers-retours sur ma feuille blanche, sans vraiment me rendre compte de mon dessin, comme en transe.

          Et je reste là, assise dans un coin de la cage d'escalier de mon lycée, je reste jusqu'à ce que la sonnerie annonçant la fin des cours retentisse et que le flot d'élèves pressés se déverse dans les couloirs. Ramassant mes affaires, je me lève et suis le mouvement.


         La clef tourne dans la serrure. Une fois, deux fois, le battant s'ouvre. La maison est plongée dans le silence - mes parents travaillent encore, chacun à un bout de la ville. Je défais mes lacets, pose mon sac de cours et me dirige de l'autre côté de ce plein-pied à l'aspect provincial, vers ma chambre. La fenêtre est entrouverte, et laisse la fraîcheur d'une fin d'après-midi d'automne. Pour la troisième fois de la journée, je sors mon carnet de dessin. Assise sur une chaise face à mon bureau, la lumière d'une petite lampe éclairant les dessins que les pages dévoilent, je tourne frénétiquement les feuilles du cahier. Je ne me rappelle pas ce que j'ai dessiné, pendant une heure, d'abord en cours, puis assise dans les escaliers. Depuis le trajet de bus, cette question tourne en boucle dans ma tête. Qu'est-ce que j'ai bien pu dessiner ?

          Malgré tous les efforts que je fais pour me souvenir, rien ne vient. Comment j'ai pu oublier cela ? C'est insensé.

           Les feuilles défilent, et j'arrive enfin à la page attendue. Devant moi, s'étale le dessin le plus perfectionné de ce carnet. Des courbes, parfaites, aux nuances de crayon à papier, tout a été travaillé, semant le doute dans mon esprit. Mes dessins ne sont pas aussi détaillés, d'habitude, pas au point de voir chaque pli des vêtements, ou de savoir exactement quelle est la couleur qu'il y aurait eu à la place de cette nuance de gris, ou de celle-là.

          Est-ce moi qui ai dessiné ça ?

          Oui, bien sûr que c'est moi, je me souviens, maintenant, chaque coup de crayon, pour foncer un peu ici, ou un peu là. Chaque courbe, que j'ai tracée, en m'appliquant.

           Mais pas tout en une heure, ça non, j'ai continué, après, à dessiner. J'ai continué deux, trois, quatre heures plus tard. Et voilà le résultat.

          Peut-être que ma mémoire a essayé de l'oublier. Pourquoi ? La réponse est à moitié claire dans ma tête.

           Devant moi, sur un dessin, deux filles, l'une brune, l'autre aux cheveux châtains clairs, toutes deux en robes, les mains entrelacées, les yeux fermés, le sourire aux lèvres, s'embrassent sous un arc-en-ciel.

correction et mise en page le 16.08

Avant que le Soleil ne se CoucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant