Chapitre 28

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 28 février 2018

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 28 février 2018

 — La vie est pleine de surprises, Juliette !

         La moue moqueuse de Sarah s'agrandit quand son regard croise le mien, noir.

— 'Faut savoir accepter sa défaite, parfois !

— Parfois. Pas aujourd'hui.

        Je secoue la tête en signe de négation et prends appui sur le rebord de la piscine, me hissant sans difficultés sur le carrelage froid.

— J'aurais ma revanche.

— J'en doute pas, prononce-t-elle avant de replonger.

        Je la regarde s'éloigner, crevant la surface de l'eau alors qu'elle progresse vers le milieu du bassin. Les muscles de son dos se contractent à chaque mouvement, et je remarque que sa condition physique a bien changé. Les fois où nous allions à la piscine ensemble étaient rares, mais à chaque fois, je la battais sur le 100 mètres. Même petites, notre année d'écart ne m'avait pas empêché de gagner un bon nombre de fois. L'eau, c'était mon territoire. Elle, c'était le reste. Alors aujourd'hui qu'elle s'est hissée à mon niveau, il ne me reste plus aucun pouvoir, si ce n'est celui des relations amoureuses compliquées.

        Je continue de suivre sa silhouette des yeux, jusqu'au moment où mon regard tombe sur les plongeoirs. Ceux de trois mètres. Ouverts au public. Faciles.

        Mes dernières séances d'entraînement remontent à quelques mois, et je me prends à regretter de n'avoir jamais répondu aux mails de l'entraîneur de Monaco. Si mon niveau a très probablement chuté – quelle ironie pour le plongeon – je me rends aussi compte que l'adrénaline des sauts me manque. Le sentiment de vertige de manque. L'illusion de tomber me manque. Tomber encore et encore à n'en plus finir. Il serait peut-être temps d'y retourner.

        Fébrilement, je contourne le bassin et me dirige vers l'autre côté de la piscine. Marcher va plus vite. Une fois arrivée face aux plongeoirs, je marque un temps d'arrêt, et cherche Sarah dans l'eau. Quand je la trouve, ses yeux sont posés sur moi et elle me fixe, un sourire à mi-chemin entre la taquinerie et la moquerie plaqué sur les lèvres. « Rira bien, on verra qui rira le dernier » semble-t-elle dire.

        Sans lâcher son regard, je monte sur le plongeoir, m'avançant vers le bout de la planche qui se tord sous mon poids.

        Une petite impulsion. Une deuxième. Puis, tout se passe très vite. Mes pieds quittent le plongeoir qui se tort sous le coup, mon corps se projette en avant et s'enroule sur lui-même, et enfin se raidit. Les mains jointes, tous les muscles bandés dans un alignement parfait, j'inspire une dernière fois avant de percuter l'eau et de m'y laisser couler. Et c'est comme revivre.

        Après quelques secondes, mes poumons demandent de l'air et je remonte à la surface. Sans attendre, je cherche Sarah des yeux. Celle-ci me sourit, les deux pouces en l'air. Je lui rends son sourire, avant de me diriger vers l'échelle de métal qui borde le bassin. En quelques minutes, je suis de nouveau au bout du plongeoir, prête à m'envoler. Et je m'envole. Encore et encore, pendant un temps infini.

        Quand je rejoins finalement Sarah dans les vestiaires, les muscles de mes jambes me brûlent. Encore une fois, elle me sourit, une leur bienveillante dansant dans ses yeux.

— Tu sais, je suis contente d'être là.

        Avec un hochement de tête, je lui réponds :

— Je sais. Moi aussi je suis contente que tu sois là, rajouté-je après une pause.

        Attrapant mon sac sur le banc, je me lève, Sarah m'emboîtant le pas. La froideur de l'hiver me frappe de plein fouet quand j'ouvre la porte. Dehors, une surprise m'attend.

— Il neige !

         Des petits flocons blancs tombent du ciel. J'ouvre ma paume et laisse les cristaux s'y poser, levant la tête vers le ciel gris.

        Quand mon regard se reporte sur ma main, une multitude de flocons y ont atterri. Ils sont délicats. Fragiles. Magnifiques.

        Et quand je relève les yeux, je les remarque qui se posent un peu partout. Ils égayent les tours horriblement moches de Monaco, blanchissent le port, et provoquent l'arrivée de dizaines de personne, qui descendent petit à petit profiter de la neige.

— De la neige à Monaco ! Ça figurera dans les livres d'histoire !

        Le rire cristallin de Sarah me parvient et je ris avec elle à sa remarque. C'est plus que je n'aurais espéré. Être ici, sous la neige, riant à gorge déployée avec ma sœur.

         Glissant son bras sous le mien, Sarah m'entraîne vers l'arrêt de bus d'un pas dansant qui me fait rire. Un sourire étire sa bouche, et je m'empresse de la suivre, écrasant la neige qui commence à se déposer sur les trottoirs. Notre démarche est légère. D'une légèreté innocente qui me fait momentanément oublier tout le reste.

        Les quelques mètres qui nous séparent de la rue sont vite parcourus, et le froid nous enveloppe une fois à l'abri des chutes de flocons. J'enfouis mes mains dans mes poches et mon nez dans mon écharpe, et me tourne vers Sarah. Celle-ci a le regard dans le vague, une moue attristée sur le visage.

        Délicatement, je pose ma main sur son bras et prononce doucement son nom.

        Elle se tourne vers moi et je remarque ses yeux pleins de larmes.

— J'ai été déposer des fleurs sur sa tombe. Ça aurait pas du se passer comme ça. Vous méritiez mieux que ça.

         Elle n'a pas besoin d'en dire plus. En écho aux siens, je sens mes yeux s'embuer. Ma gorge se noue, et, incapable de prononcer le moindre mot, je hoche la tête, avant de détourner le regard. Il ne méritait pas ça. Et Sarah le sait.

        Quelque part, j'ai l'impression qu'elle me comprend, et ça me fait du bien. D'être avec quelqu'un qui l'ai connu. Qui tenait à lui. À qui il manque. Son visage s'impose dans ma mémoire, et je monte comme un automate dans le bus qui arrive. Mes yeux s'évadent, à travers la fenêtre, et je regarde sans vraiment le voir le paysage qui passe.

        Petit à petit, le poids qui m'oppresse la poitrine se détache. Ma respiration se calme et je trouve la force de tourner à nouveau la tête vers Sarah. Elle a posé sa main sur mon genou et le presse doucement, sans rien dire. Comme trois jours auparavant, le village qui se dessine à travers les nuages m'apparaît comme un soulagement. La descente jusqu'à la maison en pierres est moins longue, la marche m'est moins douloureuse, la présence de ma sœur à mes côtés m'est bien plus agréable.

        Quand je pousse avec fracas la porte de la maison, une odeur sucrée envahit mes narines. Ma mère est aux fourneaux, et son sourire joyeux illumine la pièce. Sans vraiment comprendre comment, je me retrouve rapidement attablée, devant une part de tarte aux pommes proéminente. Un sourire barre mon visage et je me mets à penser que malgré tout, rien n'aurait pu être plus parfait qu'en cet instant.

publié le 12.12

Avant que le Soleil ne se CoucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant