Chapitre 29

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28 février 2018

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28 février 2018

            Le jour commence à tomber, et le feu qui crépite dans la cheminée projette sur les murs des ombres mouvementées, pareil à des scènes de guerre du temps de L'Iliade. Pourtant, le silence règne. Les soldats grecs sont silencieux, les chevaux ne frappent pas le sol de leurs sabots, les cris des habitants de Troie ne retentissent pas. Seul le bruit de pages qui se tournent résonne. Des pages qui se tournent, et de mon pied qui martèle le parquet à un rythme plus ou moins régulier. Ma mère, concentrée dans sa lecture d'un roman de Mary Higgins Clark, ne dit rien. Elle ne semble même pas le remarquer. Pas plus que Sarah, elle aussi plongée dans les abysses d'un livre, visiblement relatif au sport, à la couverture verdâtre qui ne donne pas le moins du monde envie d'ouvrir l'ouvrage.

        Mon pied continue de taper contre le sol aléatoirement et mon regard passe par la fenêtre. Les flocons ont arrêté de tomber. L'unique lampadaire du chemin laisse apercevoir une très fine couche blanche qui s'est déposée sur l'herbe.

          Soudain, la sonnette retentit. Elle me sort de ma torpeur, et sort Sarah et ma mère de leur lecture. Heureuse de pouvoir enfin me lever, je parcours le peu de distance qui me relie de la porte d'entrée en quelques secondes. La main sur la poignée, j'ouvre la porte à la volée.

          Et mon cœur loupe un battement. Ce qui n'arrivait que dans les livres. Et pourtant, le mélange de surprise, de curiosité et de joie qui m'anime provoque à mon pauvre muscle une accélération digne d'une voiture de course.

         Là, devant moi, le vent fouettant les pans de son manteau, les cheveux retenus dans un chignon mal fait, se trouve Charlotte. Son regard se loge immédiatement dans le mien et j'y lis une détresse incomparable. À nouveau, mon cœur rate un battement.

          Un bruit de pas retentit derrière moi et je reviens à la réalité. Rapidement, je m'écarte pour la laisser entrer. Elle se réfugie à l'intérieur.

— Bonjour.

         Je me tourne vers ma mère avant de me rendre compte. Elle ne connaît pas Charlotte. Celle-ci lui répond d'ailleurs poliment avant de se tourner vers moi. J'ignore son regard quelques instants pour me tourner vers ma génitrice :

— C'est Charlotte.

         Elle hoche la tête.

— Contente de te rencontrer ! Je vais vous laisser toutes les deux.

         Rapidement, elle tourne les talons et je reporte toute mon attention sur Charlotte.

— On peut parler ?

         J'acquiesce silencieusement et la guide vers ma chambre. Je ferme la porte derrière elle et la regarde alors qu'elle part s'asseoir sur le bout de mon lit. À mon tour, j'attrape une chaise de bureau et m'y appuie. Elle passe ses mains sur son visage, et ce geste me donne une amère impression de déjà-vu.

— Je suis désolée. Pour dimanche. J'aurais pas du réagir comme ça, je... J'arrête pas d'y penser, depuis qu'on s'est... embrassées.

         Elle marque un temps d'arrêt et respire profondément. Je ne bouge pas, et les quelques secondes qui passent avant qu'elle ne reprenne la parole me paraissent durer une éternité.

— J'aurais pas dû te repousser comme ça. Le baiser, c'est arrivé parce que moi aussi, je le voulais. Je voulais juste te dire que si c'est pas trop tard... je suis prête.

         Je crois que pour la troisième fois en moins d'un quart d'heure, mon cœur loupe un battement. Cette fille est en train de me tuer à petit feu. Et pourtant je reste là. Assise, sans esquisser un geste ni dire un mot.

— Voilà. C'est tout.

         Elle se lève et attrape sa veste, se dirigeant vers la porte. Alors, sans réfléchir, je rattrape son bras. Elle aussi le voulait. Elle se retourne, et dans ses yeux, je discerne comme une lueur d'espoir.

— C'est tout ? Tu vas partir comme ça ?

         Elle hausse les épaules, comme résignée. Ou déçue ? Puis ses yeux jusque là baissés se lèvent vers moi. Et ce que j'y vois me fend le cœur. Ses yeux sont pleins de larmes ; si pleins qu'ils sont sur le point de déborder. Sans plus penser, je ramène son petit corps contre le mien, et l'entoure de mes bras. Elle s'y blottit et enfouis son visage dans mon cou. Je la sens respirer de grandes goulées d'air et moi-même, je plonge mon nez dans ses cheveux.

         Quelques instants plus tard, son visage quitte mon épaule, et sans se détacher de moi, elle relève les yeux vers mon visage. Toute trace de larme y a disparu, et un léger sourire étire mes lèvres. Le regard de Charlotte s'y dirige et je sens mon cœur s'accélérer. Est-ce que ? Une seconde, elle hésite, ses yeux remontent vers les miens, avant de redescendre. Puis, comme rendue à l'évidence, elle se hisse sur la pointe des pieds et m'embrasse.

          Je ne prends que quelques secondes avant de lui répondre. Cette fois, ce sont ses mains qui se posent sur mon visage. Comme un miroir parfait, les miennes coulent jusqu'à sa taille. Sa bouche joue avec la mienne, ses doigts passent dans mes cheveux, son souffle se mélange au mien. L'osmose est parfaite. Mon corps entier s'est embrasé. Et je voudrais rester là des heures, des jours entiers. À embrasser Charlotte, à sentir ses mains sur mon visage, à la serrer contre moi.

          Et lorsque l'on se sépare après un temps immensurable, son front se colle au mien. Elle sourit et je l'imite, le souffle court de l'avoir tant embrassée. Ses paupières se ferment, et la détresse que j'avais pu lire un peu plus tôt disparaît, comme si une magie avait opéré pendant ces quelques minutes. Son corps est toujours pressé contre le mien et je sens son cœur battre à une vitesse folle. Ce détail me fait sourire et je plonge ma tête dans ses cheveux pour qu'elle ne le remarque pas. Je m'imprègne de son odeur à grandes inspirations. Elle reste encore quelques secondes contre moi, avant de se séparer doucement.

— Il faudrait que je rentre, il commence à être tard.

          Une seconde, je pense à lui proposer de rester dormir, puis me ravise. Ce serait malvenu. Trop tôt. Même pour moi. Alors, je hoche simplement la tête et la regarde aller récupérer ses affaires échouées sur ma chaise. Elle se retourne vers moi et alors que je m'attends à ce qu'elle s'approche de moi, peut-être pour m'embrasser une dernière fois, elle s'arrête à quelques centimètres et glisse ses mains dans ses poches.

         — Tu sais, je me disais... On a pas vraiment fait les choses dans les règles de l'art toutes les deux, alors... Est-ce que tu accepterais de sortir avec moi, au restaurant ?

         Mon cœur déjà au bord de la tachycardie semble exploser à la fin de sa phrase. Sans réfléchir plus, je hoche la tête, la gorge trop nouée pour dire un mot. Quelques secondes et un baiser plaqué sur mes lèvres plus tard, la porte de la maison claque. 

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publié le 18.12

Avant que le Soleil ne se CoucheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant