Chapitre 18 - [Partie 3]

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Les bruits des machines qui devaient maintenir Alexia en vie sonnaient de manière régulière. Ce son, que certain pourrait trouver agaçant, était pour moi très apaisant. Chaque petit bip était une victoire face à la mort qui voulait prendre la vie de mon amie. Les médecins n'avaient rien voulu me dire tant que la famille n'était pas arrivée. Les parents d'Alexia habitaient à plus de deux heures de route de Strasbourg. Les réveiller, en pleine nuit, pour annoncer la tentative de suicide fut l'appel téléphonique le plus dur de ma vie. Je ne pourrais jamais effacer de ma mémoire le cri de surprise et de frayeur qui avait précédé la crise de larmes de Chantal, la mère d'Alexia.

Adossée au chambranle de la porte, je regardais de loin mon amie, allongée dans ce lit d'hôpital. Son teint était aussi blafard que l'environnement même si elle avait repris quelques couleurs. Des larmes silencieuses coulaient sur mon visage tandis que j'essayais de trouver le courage d'aller la voir. Toutes ces machines et ces perfusions et autres câbles qui la maintenait en vie me faisaient peur. J'étais effrayée à l'idée d'en toucher un par inadvertance et de tout détruire. Détruire l'existence d'Alexia.

J'étais consciente que nous n'étions pas passées loin du drame ce soir et que le combat n'était pas encore fini. Cette petite victoire n'était rien face à l'effondrement de sa vie et de ma vie. J'avais eu de la chance de vivre mes vingt premières années dans un certain bonheur sans avoir connu de drames. J'étais passée entre les gouttes du sort et du destin mais aujourd'hui ils m'avaient rattrapé sous la forme d'un violent orage. Il avait détruit ma conception de la vie, mon monde et mes convictions. Surtout, il avait tiré un trait sur ma jeunesse et ma relative insouciance. Projetée dans un monde d'adulte avant l'heure où j'aurais comme lourde responsabilité de reconstruire la vie de mon amie, j'étais moi aussi détruite.

— Tiens Emma.

La voix d'habitude cristalline d'Estelle, était cassée. Comme nous toutes. Elle me tendit un gobelet de café. Cela mit fin brutalement à mes pensées. Pour l'instant, je devais les laisser de côté car ma priorité était Alexia.

Je tournais la tête pour chercher du regard Pauline et sentit une peur terrible montée en moi. Serais-je toujours aussi effrayée quand les choses ne se passeraient pas comme prévues ? Penserais-je systématiquement au pire en moins d'une seconde à la moindre contrariété ? Je ne mesurais pas encore toutes les conséquences de ce drame.

Soulagée de la trouver en retrait, appuyée sur le mur du couloir, je me concentrais à nouveau sur Alexia. Plusieurs minutes s'écoulèrent en silence, seulement perturbé par les reniflements et la respiration saccadée de Pauline. Enfin, je remarquais qu'Estelle n'avait également pas franchi le seuil de la porte. Prenant mon courage à deux mains, je mis des mots sur ce que nous pensions tout bas :

— Toi aussi tu la vois comme on l'a trouvé dans la salle de bain c'est ça ?

— Oui, me répondit-elle dans un souffle avant de fondre en larme.

L'image d'Alexia, étendue dans la salle de bain, plus blanche que la faïence, et ce sang, rouge foncé, qui coulait de ses veines, était collée à ma rétine. Comme un filtre, elle déformait la réalité, accentuant ce que je voulais oublier. Il hanterait mes jours et mes nuits, me poursuivant pendant des mois avant que je réussisse à le diminuer. Il ne s'avouera pas vaincu et continuera à surgir quand je m'y attendrais pas.

Reprenant mes esprits et souhaitant être aux côtés d'Alexia, je pris Estelle par la main qui épaula Pauline. Ensemble, nous rentrâmes dans la chambre d'hôpital, affrontant nos propres démons et peur. Nous nous installâmes à ses côtés. Pour lui montrer mon soutien, je caressais délicatement le visage de mon amie. J'étais incapable de serrer sa main car, outre les bandages, j'y voyais encore son sang. Nous restâmes ainsi pendant de longues minutes, les larmes coulèrent et les sentiments se libérant quand Pauline interrompit ce moment de communion :

— On doit retrouver le salopard qui lui a fait ça. On doit savoir qui c'est et se venger !

Ces propos, lourds de sens, trouvèrent à ma grande surprise un écho en moi. Oui, elle avait raison ! Nous ne pouvions pas laisser ce semblant d'homme s'en tirer ainsi. Il était l'origine et la cause des maux d'Alexia. Il l'avait détruite, presque tuée, et s'en tirait sans rien, sans même des remords. Non, je ne pouvais pas laisser passer ça. Une rage et une fureur bouillonnaient en moi et réchauffaient mon cœur. Avoir un coupable et un objectif étaient réconfortant. C'était tout ce dont j'avais besoin pour affronter cette situation.

— Tu as raison, m'exclamais-je, nous devons le retrouver et le faire payer. Faisons un pacte maintenant et jurons-nous de venger Alexia, quelques en soient les conséquences.

— Je le jure, s'écria Pauline tout en se relevant et en mettant sa main sur la mienne.

Estelle semblait hésiter. Ce n'était pas dans sa manière d'être ni d'agir. J'étais persuadée qu'elle n'oserait pas franchir ce pas et faire cette promesse. Quand elle se leva, elle avait un regard dur comme de l'acier où je voyais brûler un brasier de colère et de haine. Elle nous rejoignit et souleva, tout en douceur, la main gauche d'Alexia. En se joignant à nous, elle jura également. Toutes nos doigts se lièrent autour de ceux, froids et glacials, de notre amie. Le sang, que nous étions seules à voir, coulait et se mêlait à notre promesse.

Alexia dut se battre pendant trois semaines avant de se réveiller de son état végétatif, proche du coma. Le combat était loin d'être fini. Pendant des mois, nous avions séché, à tour de rôle, ses larmes, crises d'angoisse et ses peurs. Quand elle était sortie de l'hôpital où elle avait été internée pendant presque un semestre, nous vivions pratiquement chez elle, de peur qu'elle rechute. La première année fut la plus dur et compliquée. Nous évoluions sur un terrain miné, entre désespoir et allégresse, crise de larmes et rire de joie.

La deuxième année avait été longue. Nous savions qu'Alexia allait mieux mais sans être guérie. Elle voulait retrouver son indépendance et gérer elle-même sa vie. Pour nous, c'était compliqué de la laisser faire. Nous nous étions occupées d'elle pendant tellement de jours que la laisser s'envoler de ses propres ailes en la sachant si fragile nous coûtait. Nous l'avions laissé faire, regardant de loin et surveillant chacun de ses pas. Enfin, la troisième année fut placée sous le thèmes de la guérison.

Chaque jour de la rémission d'Alexia était, pour moi, un véritable calvaire. Des milliers de sentiments divers s'étaient emparés de moi. J'oscillais entre la joie et la tristesse, entre le bonheur et les larmes. Cependant, à chaque moment, j'étais accompagnée de ma rage et mon désir de vengeance qui ne faiblirent pas. Véritable guide, ils m'avaient permis d'avancer, à la lueur de leurs flambeaux, dans ces années sombres. Huit ans après ce drame, ils n'avaient pas faibli et restaient un moteur essentiel. Mes amies avaient progressivement perdu cette flamme, mais pas moi. Je n'avais qu'un but : passer de la promesse à l'action.

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Je pense qu'avec ce chapitre vous êtes plus éclairé sur la suite de l'histoire ;) On approche bientôt de la fin et je vous publie rapidement la suite !

Et sur ce j'embarque dans mon avion direction les vacances. Je vous publierais peut être la suite mais j'aurais sûrement pas le temps de répondre à vos commentaires (mais ce n est pas une excuse pour pas en faire :P)

En attendant, je vous souhaite de bonnes lectures !

SuccomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant