Il était presque trois heures du matin quand je quittais l'appartement d'Alexia. Elle s'était finalement assoupie après avoir pleuré toutes les larmes de son corps. J'en avais profité pour m'éclipser et rentrer chez moi. Avant de partir, j'avais essayé de l'installer le plus confortablement possible pour qu'elle puisse se reposer. En recouvrant son corps d'un teint pâle et blafard avec sa couette bariolée, je ne pus m'empêcher de constater qu'elle était déjà très amaigrie.
L'atmosphère était lourde dans ce petit studio habituellement rempli de joie. Les touches de couleurs me paraissaient comme ternies suite aux pleurs d'Alexia. Le sol en lino était recouvert de cadavres de mouchoirs. Un par un, je les avais ramassés et jetés à la poubelle. Pendant ce nettoyage express, j'étais hantée par l'image d'Alexia quand elle m'avait accueilli, en début de soirée, avec son regard perdu. Celui-ci était tellement vide, mais je pouvais y décerner, caché au fond, un mélange de tristesse, de mélancolie et surtout de peur. Je ne pourrais jamais me séparer de ce souvenir. Il m'avait poursuivi, même aujourd'hui, dix ans après.
Je pris le double des clefs de l'appartement d'Alexia et verrouillai la porte après mon départ. J'arpentais les petites ruelles pavées de Strasbourg, si jolies en temps normal, mais aujourd'hui elles étaient lugubres et anxiogènes. Je remontais la fermeture de ma veste jusqu'au col et accélérai le pas. Cette ville m'effrayait pour la première fois de ma vie. J'y avais grandi, rêvé, construit des plans sur la comète et j'y avais vécu des moments de liesse, avec parfois des larmes, mais surtout des rires. Cependant en une soirée, en une révélation, l'existence m'avait appris que le monde n'était pas toujours rose.
J'ouvris enfin la porte de mon appartement et laissai échapper un souffle de soulagement en refermant à clef derrière moi. Cette soirée avait été tellement éprouvante. Alexia m'avait raconté sa mésaventure amoureuse. Elle s'était laissée séduire par un homme mystérieux. Celui-ci avait voulu garder leur relation secrète et lui avait demandé de ne pas révéler son identité, sous aucun prétexte, car il avait une volonté farouche de "préserver leur amour". Pendant deux mois, Alexia était tombée dans son jeu et pensait que les sentiments qu'elle ressentait pour lui étaient réciproques.
Presque tous les jours, elle nous avait parlé de cet homme charmant qu'elle avait rencontré, de son amour secret qui lui promettait monts et merveilles. En moins d'une semaine, elle croyait déjà qu'elle allait passer sa vie avec lui, que c'était lui le bon. Elle avait plongé corps et âme dans cet océan de bonheur, de passion et d'enchantement.
Cependant, Alexia y avait vite sombré manquant de s'y noyer à plusieurs reprises. Son amant n'avait jamais mis réellement fin à leur relation, préférant fuir et faire le mort que d'affronter une femme. En lâche, il n'avait laissé aucun mot et l'avait fait comprendre que c'était fini sans se mouiller : en changeant de numéro de téléphone. Sans rien dire, il avait quitté sa vie en ne laissant rien, pas même une explication et encore moins un moyen de le contacter.
Alexia avait espéré, pour ne pas sombrer, pendant plusieurs jours, et évitait de nous parler de ses soucis. En ce 19 janvier 2010, elle avait craqué et m'avait appelé, en larme. Perdue et esseulée, elle n'avait plus la force de croire et s'était rendue compte du départ, définitif, de son amant. J'étais arrivée le plus rapidement possible, dès la sortie de mes cours, pour lui apporter mon soutien. Je lui avais tenu le paquet de mouchoirs tandis qu'elle tentait d'essuyer ses larmes qui coulèrent sans discontinuer.
J'avais essayé, tout au long de cette première soirée, d'en savoir plus après cet homme pour lui dire ses quatre vérités. A cette heure-là, il n'était pas encore question de vengeance. Alexia ne lâcha rien, fidèle à ses promesses, à la vie à la mort. J'abandonnais mon vain interrogatoire, qui n'apportait que des pleurs en plus, et essayais de la consoler comme je pouvais.
Voir mon amie aussi triste et désespérée me faisait souffrir. Je ne pouvais pas le supporter. Je partageais les mêmes sentiments qu'elle mais avec une colère froide cachée au fond de mon coeur. L'impuissance me rendait folle. Je ne pouvais rien faire pour assouvir ma soif de vengeance et ma rage qui commencèrent à m'envahir. Regarder Alexia souffrir était la pire des sensations que j'avais connu dans ma courte existence.
En peu d'années, Alexia était passée du statut d'amie à meilleure copine pour finir comme sœur de cœur. Elle m'avait épaulé dans les moments difficiles avec mes parents, m'avaient apporté son soutien et son amitié indéfectible. En cette triste soirée d'hiver, c'était à mon tour d'être là pour elle, de la protéger de cet amour à sens unique, de la sauver de l'emprise de cet homme, envers et contre tout, envers et contre lui.
Les jours passèrent et je pris de nouvelles habitudes. Chaque matin, je passais voir Alexia, je lui apportais un petit déjeuner qu'elle ne mangeait jamais, avant d'aller en cours. J'en avais séché de nombreux mais les différents rappels à l'ordre de mon administration me contraignirent rapidement à revenir sur les bancs de l'école, physiquement là mais là tête ailleurs. Je passais ensuite le midi, lui tenir compagnie et essayais de lui faire avaler quelque chose. Enfin, je restais chaque soir tard chez elle et repartais jamais avant 2 heures du matin.
Je m'interdisais de pleurer devant elle pour ne pas la faire plus souffrir. Cependant, quand je battais rapidement le pavé strasbourgeois pour rentrer dans mon petit appartement, je ne pouvais empêcher mes larmes de couler. C'était dur moralement et physiquement mais ce n'était rien comparé aux douleurs d'Alexia. Le week-end, Estelle et Pauline me rejoignaient et nous restions les quatre ensembles. C'était ma nouvelle routine, celle que je suivais quand tout allait bien. Mais rien n'allait bien.
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Voilà pour la première partie de ce chapitre 18. Elle est plutôt courte mais c'était un peu compliqué de trouver ou couper.
Je vous publie la suite direct ;)
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Succomber
RomansaEmma avait tout pour être heureuse : un petit copain adorable, un métier correctement payé et une vie paisible à Paris. Cependant, à la fois hantée par son passé et accablée par sa routine quotidienne, elle était, à l'aube de ses 28 ans, à la croisé...