Prologue

1.2K 38 0
                                    


Il était parti. Disparu. Envolé. Il n'était tout simplement plus là. Comme ça, du jour au lendemain, sans qu'elle n'ait pu l'anticiper, sans qu'elle n'ait pu y jouer un rôle. Il avait tout laissé derrière lui : sa brosse à dents dans la salle de bain à côté de la sienne, ses habits éparpillés aux quatre coins de l'appartement, sans oublier sa présence qui hantait chaque mur. Il lui restait aussi ses souvenirs, brûlants, ses sensations si puissantes qui lui faisaient parfois perdre la tête et ses moments d'espoir fou, où tout semblait encore possible.

Elle avait aussi son bouquet de fleurs, ces pivoines, vestiges d'une époque pas si révolue. L'eau croupie, d'une teinte marron blafarde, stagnait dans le vase qu'elle avait oublié. Sa peine était plus forte qu'aucun tracas du quotidien. Ces brindilles n'étaient rien, rien qu'une petite goutte dans un océan de souvenirs. Il les lui avait offertes peu avant le drame, espérant les retrouver à leur retour de week-end. Symbole de l'amour passionnel entre-deux inconnus, deux personnes qui se découvrent, les pivoines étaient restées là, à leur place, trônant sur le petit bar qui faisaient office de table. Certes, leurs odeurs entêtantes s'étaient estompées après plusieurs jours de solitude et de mauvais traitements, mais sa peine à elle n'avait point faibli.

Les fleurs avaient fané, se refermant sur elles-mêmes comme un corps ne supportant pas la vive douleur d'une perte. Perdant de leur éclat et de leur vigueur, elles voyaient peu à peu la vie les quitter, se laissant mourir et refusant le combat. Les tiges s'étaient écroulées, repliées sur elles, tel un dos courbé par le poids du chagrin. Disparaissant alors, devenant l'ombre d'elles-mêmes, elles sombraient dans le désespoir.

Les grands pétales, auparavant rouge désir, avaient commencé à dépérir. La plupart de ces feuilles, maigres membranes de vie éphémères, étaient tombées, jonchant la table de dizaines de cadavres. Le temps avait fait des ravages et la couleur de l'amour s'était éteinte, devenant rouge cramoisi, nuance de sang. Hasard ou coup du sort, cette teinte était celle du futur.

De cette triste soirée, prologue d'un chapitre douloureux de mon existence, ce bouquet de pivoines en était le symbole. Premier souvenir net qui se dessinait devant moi en évoquant ce passé, il m'obsédait encore aujourd'hui. Sa couleur et son odeur me revenaient avant même la douleur. Détail futile et dérisoire d'une pièce remplie de chaos, il continuait de me hanter, presque chaque nuit et ce pendant les dix dernières années, sans aucun répit. Les souvenirs de cette période, de son passé, de mon passé me poursuivaient inlassablement et guidaient mes pas.

Je ne supportais plus ces fleurs, les pivoinesde l'amour rimaient pour moi avec horreur. Je ne supportais plus ces rappelssordides de ma triste existence que je croisais régulièrement dans lesdevantures de fleuristes ou dans les mains de fous voulant exprimer leurpassion. Je ne supportais plus ces souvenirs d'une autre vie, celle dont jedevais tourner la page, obligée malgré moi, sans pour autant réussir à terminerce livre.

SuccomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant