CHAPITRE 5 : Départ

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Emma soupira dans son grand lit vide. C'était la veille du départ et elle n'arrivait pas à trouver le sommeil. La semaine qui venait de s'écouler avait été une des plus difficile qu'elle avait eu à vivre et certainement la plus harassante. La jeune femme n'avait eu de cesse de courir à droite à gauche pour superviser l'ensemble des préparatifs. À bout de patience, Ruby avait fini par l'envoyer promener, lui jurant de ne prendre que des vêtements roses si la princesse s'avisait encore de lui faire perdre son temps. Vaincue, ayant parfaitement conscience de son inutilité, Emma avait donc réservé son harcèlement aux deux hommes.

Markus était une perle. La louve lui avait bien dit qu'il était sous-employé mais le voir à l'œuvre était un pur bonheur. Avec diplomatie et fermeté, l'homme avait déniché le moindre rapport émis au sujet du fameux duché. Perfectionniste, il était remonté sur plus de trente ans, soit bien avant même son annexion. Tout y était, des livres de compte aux codes de loi, en passant par un traité sur les coutumes et traditions de la région. Il avait trouvé de nombreuses cartes également, de la plus simple qui ne montrait que les reliefs à la plus complexe qui recensait la moindre ressource naturelle. Ils avaient ainsi pu commencer à mettre en place un plan de redressement.

Emma avait été effarée de constater l'approbation de l'homme quand elle avait suggéré faire les premiers investissements sur ses deniers propres plutôt qu'en augmentant les taxes. La plupart des gens auraient essayé de la convaincre de renoncer à ce projet,après tout le peuple était fait pour payer des impôts. Mais pas lui. Au lieu de cela, Messire Lukas lui avait souri sincèrement, fier, une fois n'est pas coutume, de servir la jeune Dame. Elle avait beau être têtue et contrariante, rétive et rebelle, il commençait sérieusement à s'attacher à elle. Il lui arrivait même, de plus en plus souvent, de remettre en question les aspirations de la Reine. Sa fille ferait une grande souveraine si seulement on lui en laissait l'opportunité. De plus Markus, comme beaucoup d'autres parmi le peuple, voyait d'un mauvais œil l'idée de laisser un homme d'une autre famille diriger au nom d'Emma. Et d'autant plus s'il venait d'un autre pays. Non, définitivement pour Markus, la jeune héritière avait choisi le meilleur des cadeaux. Celui qui lui permettrait de prendre son envol.

Parallèlement Emma avait retrouvé avec plaisir la vieille complicité qui l'unissait à Lancelot quand elle était plus jeune. À cette époque, le chevalier, en ambassade de longue durée (elle se demandait aujourd'hui si ce n'était pas déjà dû à la jalousie de Guenièvre ), s'était rapproché de cette jeune demoiselle sauvage et solitaire. La première fois qu'il l'avait vu courir et échapper à la surveillance de sa nourrice, elle lui avait étrangement rappelé sa tante Morgan. Il avait fait appel à toute sa patience pour apprivoiser l'enfant. Il la rejoignait dans sa cachette, faisait semblant de se dissimuler avec elle et passait des heures à discuter de tout et de rien. C'est lors d'une de ces rencontres qui lui avait donné son surnom pour la première fois. Il l'avait retrouvée en larmes après que des gamins de la noblesse de cours eussent raillé sa manie de s'habiller comme "une boniche". Emma avait cogné leur chef de toutes ces forces avant de s'enfuir dans les catacombes. Lancelot, peiné de la voir ainsi, et passablement en colère du peu de soutien dont elle bénéficiait, lui avait raconté la légende du vilain petit canard qui s'avérait être en réalité un magnifique et majestueux cygne.

- Tu es comme lui, l'avait-il consolée en essuyant ses larmes. Un joli petit cygne incompris. Un jour tout le monde le verra , je te le promets.

Elle avait regardé les autres enfants avec dédain suite à cet épisode. À chaque brimades, la jeune fille se rappelait qu'ils n'étaient que des canards alors qu'elle était un cygne. Son manque de réaction avait fini par les lasser et ils étaient passé à une proie plus amusante.

Quand elle avait grandi, et contre l'avis de sa mère, Lancelot l'avait entraîné en cachette au maniement de l'épée et de la dague. En bon chevalier il estimait qu'une Dame devait pouvoir survivre à une attaque le temps que les secours arrivent. Emma n'avait pas besoin d'être une grande escrimeuse, seulement savoir se débrouiller une arme au poing ne pouvait pas lui nuire. Il n'y avait que la garde et son père qui étaient au courant de ce petit secret. Même Ruby ignorait que la jeune princesse pouvait donner du fil à retordre à n'importe quel assaillant, tant qu'il ne s'agissait pas d'un maître d'armes.

Le Cygne du Royaume NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant