Après manger, nous rapprochâmes tous nos sièges sur le spot en bordure de falaise pour ne rien louper du coucher de soleil. Je ne pourrai jamais m'en lasser, et à en croire les gens autour de moi, je n'étais pas la seule.Cela méritait la photo : chacun des membres des trois groupes du parking étaient en ligne parfaite face à la mer.
Puis lorsque nous rangeâmes nos smartphones, après avoir tagué avec #coucherdesoleillavieestbelle un cliché identique sur Instagram et Snapchat, et que l'astre de feu céda sa place à la Lune, une partie des jeunes redescendit vers la plage. D'autres se rapprochèrent de leur camping-car, soit pour lire à la lueur des lumières, soit pour rentrer à l'intérieur.
Dimitri et Yohann se partagèrent un dernier verre de rhum avec Marion qui ne les loupaient pas :
– C'est quoi cette dose de fillette ? J'ai une tête à porter une couche ? dit-elle en abaissant le goulot jusqu'à en faire déborder son verre.
– On devrait rappeler aux jeunes le principe du digestif, ironisa Dimitri.
– Non mais, ramène-lui un vase plutôt, surenchérit Yohann.
– J'aime quand tu as de bonnes idées comme celle-là, Yoyo !
– Merde, Marion ! C'est une déclaration ?
– T'emballe pas, copain, l'élan d'amour est passé.
Un sourire et un cul-sec plus tard, elle lui fourra son verre vide dans la main et rentra dans l'Elysium.
– Elle me kiffe, assura-t-il.
Ce à quoi Dimitri préféra s'abstenir de répondre.
Laura et moi étions restées sur nos sièges pliables. Elle se pencha à mon oreille :
– Je crois que ton voisin te mate.
– Ah ! Je ne suis pas cinglée, chuchotai-je. Marion pense que c'est un fan.
– Ou juste un homme, répondit-elle avec un clin d'œil.
– On va vite le savoir, répondit Marion en surgissant derrière nous.
Laura et moi sursautâmes en synchronisation parfaite.
– Youhou ! dit Marion en agitant la main dans sa direction.
– Tu es un peu trop joyeuse, murmurai-je entre mes dents.
– Je ne sens pas que du dentifrice... constata Laura.
L'homme assis à quelques mètres de nous lui répondit par un sourire en s'approchant. Il était dans les mêmes âges que moi et Laura, peut-être un peu plus jeune, malgré sa barbe qui le vieillissait. Un grand brun, au visage sec et charismatique. Une gueule de cinéma mais beaucoup moins angoissante de près que lorsque son regard sombre m'avait fixé pendant le repas.
– Bonsoir.
– Ouais, bonsoir. Tu t'appelles comment ? enchaîna Marion.
– Ben.
Elle pouffa.
– Alcool et jetlag, expliqua mon amie. Moi c'est Laura, voici Amanda.
Il nous serra la main, chose que je trouvais un peu étrange. Ben plongea son regard dans le mien et marqua une pause lorsque ce fut mon tour. Un curieux sentiment m'envahit, plutôt désagréable.
– J'osai pas vous approcher, dit-il de but en blanc.
– Tu vois, j'avais raison, déclara Marion. Un fan.
– Un fan ? répéta-t-il sans comprendre.
– Pourquoi cela ? demandai-je en coupant Marion.
– Votre camping-car dépote ! Avec les autres on se demandait quels genres de célébrités vous étiez.
Ben parlait de nous tous lorsqu'il disait ne pas avoir osé nous approcher, et ne s'adressait pas uniquement à moi. Je n'étais donc pas connue de lui et c'était très bien.
– On n'est personne. Enfin, pas célèbre, assurai-je.
– Ah, ok. Vous êtes arrivés quand ?
– Aujourd'hui, répondit Laura.
– Pour un voyage entre amis, précisai-je.
– Sympa comme voyage. Nous aussi c'est entre potes. On est arrivé hier soir.
Tout en parlant, il continuait de me fixer et son attitude me rappelait Killian ou Edouard du lycée les premiers jours où ils s'étaient adressés à moi.
Je l'intéressais.
Je mentirais en disant que ce n'était pas plaisant, mais je comptais bien mettre les choses au clair au plus vite.
– Vous faites aussi le circuit numéro quatre-vingt-neuf ? demanda-t-il.
– Non, enfin, je ne sais pas, répondit Laura. C'est Amanda qui s'est chargée de tout avec Robine.
– Robine ?
– Notre chauffeur, la petite rousse, que vous avez dû voir.
J'en profitai pour présenter les hommes et préciser mon engagement marital :
– Et il y a Yohann et Dimitri qui nous accompagnent. Dimitri...
– C'est le plus gentil ! coupa Marion.
Laura comprit comme moi qu'elle ne voulait pas que j'en dise plus, pour une raison que nous n'expliquions pas.
Quelqu'un interpella le jeune homme :
– Ben ! T'as foutu où mon sac ?
– J'arrive ! beugla-t-il sur le parking. Bon, reprit-il d'une voix plus mesurée, je vous laisse. Bon séjour. Marion, Laura... Amanda.
– Pourquoi tu m'as coupé ? demandai-je à Marion dès qu'il eut disparu dans son mobil-home.
– Bah quoi, le mec te dévorait des yeux, on va pas le rendre triste et malheureux pendant ses vacances. Qu'est-ce qu'on s'en fiche, on le reverra pas. C'est marrant de prétendre être quelqu'un d'autre. On aurait dû dire qu'on était des filles de millionnaires français ! D'hommes politiques...
– Oui, on y pensera la prochaine fois. Au lit ! ironisa Laura.
Nous repliâmes nos chaises et rejoignîmes le camping-car royal. Son reflet violet était splendide sous les étoiles.
La fatigue était tombée violemment sur moi, je n'attendais plus que de me vautrer dans mon lit avec mon Dimitri à mes côtés.
Robine était installée dans le lit-couchette du salon. Le canapé était suffisamment grand pour ne pas être déployé.
Avant de dire au revoir à tout le monde, je lui demandai :
– Robine, le circuit qu'on a vérifié toutes les deux hier, c'est le numéro quatre-vingt neuf ?
Elle réfléchit à peine une seconde et répondit :
– Oui, presque, il suit quasiment le circuit quatre-vingt-neuf.
– Bé, ça risque d'être intéressant, déclara Marion dans un hoquet.
Notes à moi-même :
1. N.B : pour la douche, 45 degrés : c'est trop chaud !
2. Plus aucun digestif pour Marion.
3. Vérifier le trajet pour demain.
4. Faire des pancakes pour le petit-déjeuner. Un jour de la semaine. Ne pas repousser cette résolution, ni attendre que Dimitri en fasse à ma place.
5. Oh my God, montrer la vidéo du poussin qui dort sur le chaton aux filles !