Le lendemain matin, il n'était pas sept heures que Dimitri et moi étions déjà réveillés. En sortant de notre chambre, nous constatâmes que Yohann ne dormait plus aussi. La couchette de Robine avait été repliée, aucun signe d'elle. Elle était sûrement partie faire son jogging matinal. Le moins que l'on puisse dire, c'était qu'elle avait de l'énergie à revendre.Marion, Laura et Anne dormaient encore. Alors nous décidâmes d'aller prendre le soleil tous les trois. L'Elysium était garé sur le Holiday Park d'une grande plage. On entendait la mer.
Notre trio foula le sable et nous poussâmes jusqu'à la crique derrière les arbres. La marée haute réduisait considérablement la plage déserte. Enfin, pas tout à fait déserte, car quelqu'un sortit des vagues bleues. C'était Robine, toute essoufflée. Elle ne nous avait pas vus et s'assit face à l'océan.
On ne pouvait pas en dire autant des mecs à mes côtés.
– Eh bien, je ne regrette pas de m'être levé tôt, affirma Yohann, non sans me lancer un regard.
Je ne réagis que pour demander à mon mari :
– Besoin d'une paire de jumelles ?
Et pour cause, Robine était simplement recouverte de son paréo autour de la taille.
– Coucou ! lançai-je à en bougeant mon bras.
– Vous êtes debout ! Bonjour ! répondit-elle avec bonhommie.
Elle couvrit sa poitrine et ramassa son T-shirt pour l'enfiler. Mais c'était inutile, l'eau dévoilait par transparence ses auréoles. Elle croisa les bras, gênée devant le regard de Dimitri qui faisait son possible pour ne rien remarquer.
Nous remontâmes ensemble. De retour à l'Elysium, les filles installaient la table du petit-déjeuner. J'allai chercher mon téléphone dans la chambre et Dimitri me suivit. Il ferma la porte puis m'enlaça, son fidèle serviteur au garde à vous bien pressé contre ma hanche.
– Les hommes ! Vous êtes tous pareils ! Cou-couche panier ! pestai-je en me dégageant pour rejoindre les autres.
⁂
Alors que le camping-car était parti pour un long trajet vers notre prochaine étape, je restai avec Laura dans le côté salon, affalée sur le sofa en cuir blanc. L'anecdote amusa mon amie.
– Mais dis-donc, c'est qu'il est en forme, ton homme !
Anne, qui passait juste pour rendre la lime à ongle à sa femme, surenchérit en comptant sur ses doigts :
– Jeune couple, vacances, tentation est égal à : libido à trois cent pour cent !
– Il a aussi vu la marchandise, maugréai-je.
Je regardai Robine tout à l'opposé, ou plus précisément sa tignasse puisqu'elle était de dos.
– La pauvre jeunette n'y est pour rien, m'assura Laura.
Puis je lançai un regard à Dimitri qui discutait avec Yohann. Il m'aperçut et me fit son sourire trop craquant du « je m'excuse mais je n'ai pas trop compris ta réaction ».
Bref, je ne laissais pas complètement tomber. Robine était la seule sur ma liste de suspect. Je sortis de ma poche la feuille de magazine. Elle était de plus en plus froissée.
– Laura, regarde, j'ai trouvé ça.
J'essayai d'aplanir le document avec mes mains.
– Ah, mais c'était dans le magazine que j'avais dans l'avion, dit-elle.
– C'est à toi ?
– Oui. Pourquoi as-tu déchiré cette page ?
– Je n'ai rien fait. On l'a mise sur la porte de la salle de bain.
Mais Laura me regardait comme si j'étais folle, elle ne comprenait rien.
– Je crois que c'est un message, regarde.
Je lui montrai les phrases entourées du refrain. Je lus quant à moi la concentration sur son visage.
– « Prends garde à toi ». Pourquoi serait-ce forcément une menace ? Et es-tu certaine que ça t'était destiné ?
– Laura, la personne qui a fait ça a attendu que je sois seule. Vous jouiez tous dehors à ce moment-là. Personne n'est parti au cours du jeu ?
– Je ne crois pas. Le seul mouvement qu'il y a eu c'est quand les deux autres camping-cars sont arrivés. Mais on ne faisait pas trop attention. Marion et Yohann faisaient les marioles quand c'était leur tour, tu les connais quand ils se chambrent, et avec un bâton et des quilles en jeu, je te laisse imaginer !
Puis elle tourna la tête pour scruter l'Elysium.
– Attends, deux secondes.
Laura fit un aller-retour dans sa chambre. Elle avait pris le magazine culturel en question. Après avoir consulté le sommaire, elle se rendit sur la page concernant Carmen. Elle avait été arrachée.
– Ce magazine, je l'avais posé dehors sur ma chaise longue, pendant qu'on jouait. C'était facile de le prendre.
– Mais encore fallait-il savoir ce qu'il contenait...
– C'est sûr. Ecoute, pour moi c'est un coup de Ben et ses potes. Je ne vois pas qui d'autre.
– C'est ce que je me suis dit. Alors je suis allée le voir. Il m'a assuré que ce n'était pas eux. Ils pensent que c'est quelqu'un de notre groupe.
Laura fronça les sourcils, pas du tout convaincue.
– Et Dimitri, alors ? C'est spécial, mais après tout c'est une chanson d'amour passionnée, non ? Tu m'as bien dit que c'était un romantique.
– Oui, mais depuis, il aurait forcément demandé si j'avais trouvé son « mot doux ». Puis ça ne lui ressemble pas vraiment de toute façon.
– Ça n'a ni queue ni tête, ce truc. On n'est pas dans une saga de l'été de TF1 !
– Laura, je te rappelle que je suis un aimant à emmerdes. Le mariage de Chloé, on en reparle ?
– Bon... donc tu penses à Robine ?
– Qui d'autres ?
– On va prospecter un peu. Mais tu sais, qui dit harceleur dit mobile. Enfin, bref. Oh, j'aime jouer l'enquêtrice ! exulta ma meilleure amie en dégainant son smartphone.
Elle alla chercher Robine sur Facebook et Instagram.
– Trop fastoche, j'ai son nom de famille et ses comptes ne sont pas privés. Déjà, c'est bon signe.
A chaque info qu'elle balayait, elle hochait la tête et ses boucles d'oreilles tourbillonnaient.
– Y'a rien de louche, tout est cohérent avec ce qu'elle nous a dit. Cette fille est blanche comme neige.
– Regarde si elle n'est pas allée à Paris.
– Y'a une photo d'elle à Disneyland, puis devant la tour Eiffel y'a trois ans. Rien de suspect. On ne va pas coffrer tous ceux qui sont allés chez Mickey ?
– Je suis parano, c'est ça ? Depuis que je me suis rendu compte qu'il existait des gens comme Chloé Desneiges, j'ai peu confiance en les autres.
– Ecoute, elle est clean. Ses études, ses amis, ses voyages, son arrivée ici. Quel serait son mobile en plus ? Je suis sûre que Ben te fait marcher. Laisse couler.
Je me rendis compte de l'absurdité de mes pensées.
– Tu as sans doute raison. Sa parole ne vaut rien, ajoutai-je.
– Si il y a un moindre truc louche qui t'arrive à nouveau, tu me préviens tout de suite, ok ?
– Oui, et surtout motus et bouche cousue.
– Ou, comme dirait ma mère, « botus et mouche cousue » !