6. Carmen (4/4)

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Notre rythme était de plus en plus lent, nous étions désormais bien éloignés du groupe. Dimitri me tenait la main, il caressait de son index la mienne. Le souvenir de la veille me revint en mémoire et alors je réfléchis à comment lui parler de Yohann. Essayer de prêcher le faux pour savoir le vrai. Après tout, c'était son meilleur pote, ils avaient partagé de nombreuses soirées ensemble depuis le collège. Dimitri devait bien savoir quelque chose.

– Tu crois que Yohann va réussir à faire succomber Marion ou Robine ? demandai-je comme si c'était une banalité.

– Je ne pense pas.

Quand il ne l'avait pas décidé, Dimitri n'était pas très loquace. Ne le pensait-il pas parce qu'il savait que son pote était intéressé par des personnes plus poilues, et doté d'un tuyau à l'entre-jambe, ou parce que les femmes en question ne montraient aucun intérêt ?

– Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demandai-je.

– Je pense que tu connais Marion mieux que moi. Yohann a l'air de penser qu'il l'intéresse, moi je vois tous les signes contraires. Et elle va plutôt repartir avec un kiwi, si tu vois ce que je veux dire.

Au loin du chemin, je pouvais voir la tignasse rouge de Marion. Elle restait à proximité d'un homme tout droit sorti de l'équipe des All Blacks.

– Oui, c'est possible, concédai-je. Et Robine, alors ?

– Elle est polie et super sympa avec tout le monde. Et pareil, Yohann ne lui fait pas beaucoup d'effet, comparé... enfin rien vu de ce côté-là.

– Tu t'es repris, pourquoi ?

– Hein ?

– « Comparé » ? Comparé à qui ?

– Juste, juste... elle m'a dit que j'étais un bel homme.

Petite voix dans le cerveau : mode « jalousie » enclenché.

Résiste Amanda, résiste !

– Et... je peux savoir dans quel contexte elle a été amenée à te dire ça ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? J'étais où ? déversai-je à la va-vite.

Raté.

Le sourire de Dimitri s'étira.

– T'inquiète, rien de bizarre. Yohann lui montrait les photos qu'on a prises sur son smartphone, dont celle où je cours sur la plage. Elle a juste lancé ça comme ça.

– Mmh...

– Am', je n'ai d'yeux que pour toi.

Il m'arrêta et m'embrassa, de plus en plus insistant.

– Tu crois qu'ils vont se rendre compte de notre absence ?

– Au pire, Laura nous couvrira, je le sais.

A l'abri de la végétation, nous laissâmes nos corps parlés par eux-mêmes. Court et intense. A peine cinq minutes, mais alors nous étions essoufflés comme après une course de vitesse, et trempés de sueur. Lorsque nous rejoignîmes le groupe, malgré un re-coiffage express et un essuyage de front, Marion me regarda d'un air hilare et pas du tout dupe sur ce que nous venions de faire.


Les heures passées dans ce parc en pleine nature défilèrent. Nous restâmes encore ensemble avec Dimitri jusqu'au soir. Les autres comprirent sans souci notre besoin d'intimité. J'étais sereine, si bien. Puis je revins poser des questions sur Yohann, ce qui interpella mon dieu vivant :

– Pourquoi tu t'intéresses autant à lui, d'un coup ?

– Excuse-moi de vouloir apprendre à mieux le connaître.

– Tu sais, le meilleur moyen, c'est d'aller lui parler.

– Mais, mon amour, je veux rester avec toi.

– Sérieux, je suis content si ma femme s'intéresse à ma vie pour découvrir un peu plus ceux avec qui je l'ai partagée, dit-il en m'embrassant à nouveau. Profite du séjour pour lui parler. Tu verras, il est sympa quand il ne fait pas son lourd. Parole de scout !

Bien sûr qu'il avait raison. Mais je voulais d'abord vérifier si Dimitri pouvait être au courant. Rien de notre échange ne laissait penser qu'il le fut.

Lorsque nous rentrâmes à l'Elysium, nous étions envahis d'une fatigue appréciable, qui n'avait rien à voir avec celle du matin puisque causée par l'effort physique de la journée. Une baignade dans la mer aurait été la cerise sur le gâteau mais nous étions en plein milieu de l'île Nord.

Nous mangeâmes, et ne voulant se résoudre à rentrer dans le camping-car, commençâmes une partie de Mölkky. Je fus la première à être éliminée, après trois lancers de bâtons sans renverser de quille.

– Je vais prendre ma douche, lançai-je à la cantonade.

Yohann ramassa le bout de bois et fit une blague à Marion en lui tendant :

– Tiens, mon bâton, dit-il en le laissant au niveau de son maillot de bain.

– Yoyo, si t'avais un engin comme ça, je n'aurais pas besoin de te regarder dans les yeux. Bouge de là, sinon je vise tes noisettes !

Je filai dans la salle de bain, tellement intriguée par son attitude. Que voulait-il prouver ? 

Alors que je me shampouinais, je demandai à l'intelligence artificielle de la mettre en sourdine pour pouvoir réfléchir. C'était décidé, j'entamerai la conversation avec lui demain. J'avais été témoin du coming-out de Laura, je me rappelais de sa souffrance à le dire et de son sentiment de solitude. Comment Yohann avait-il pu résister jusque-là ? Trente ans à se cacher... Il  ne m'en fallut pas plus pour le rendre attachant à mes yeux.

En sortant de la douche, j'entendis un bruit. Serviette autour de la poitrine, j'ouvris la porte.

– Qui est là ? chantonnai-je.

Aucun son.

Je retournai chercher mes affaires dans la salle de bain. En passant devant la porte, je vis qu'on avait accroché une feuille avec un bout de scotch. Je l'arrachai et la dépliai. C'était une page de magazine musical, avec les paroles de la célèbre chanson de Bizet, Carmen.

– Dimitri ? C'est une déclaration d'amour ? lançai-je à travers l'Elysium muet.

Je m'avançai vers la sortie du camping-car. Au loin, à la lueur de mini-projecteurs, tous mes amis, Robine et Dimitri jouaient encore au Mölkky.

Je trouvai ça bizarre et contemplai à nouveau la feuille :

...

L'amour est enfant de bohème

Il n'a jamais jamais connu de loi

Si tu ne m'aimes pas je t'aime

Et si je t'aime prends garde à toi

Prends garde à toi

...


C'était un message, une menace.

Tous les « Prends garde à toi » étaient entourés avec du sang.


Notes à moi-même :

1. Ne plus jamais le refaire sur une plage. Grains de sable éternels !

2. Avoir une discussion avec Yohann.

3. Surveiller Robine.

4. Bon... Ne pas laisser sortir madame Paranoïa ! No panic !

La cerise déconfiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant