20. La rose (3/4)

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C'était à la fin de l'année de première. Pour le dernier cours, notre professeur de français nous avait demandé d'écrire un poème sur l'amour. C'était la première fois que je m'essayai à cet exercice avec autant d'aplomb. J'avais passé des heures à écrire la veille au soir. En partant de chez moi, j'avais hâte de lire ce que j'avais fait. Ça me semblait bien, j'attendais avec une certaine prétention que mon professeur me félicite.

Mais lorsque ce fut le moment, mon trouillomètre s'enclencha. Lire ce que j'avais écrit devant toute la classe relevait de l'impudeur. Pour ajouter au supplice, il avait tiré au sort l'ordre de passage, si bien que nous ne savions pas quand allait tomber notre tour. Tous les élèves n'avaient pas joué le jeu, dont Killian. Les élèves défilaient et mon angoisse augmenta. Bien entendu, je fus la dernière à passer.

- Et Amanda Laracello ! appela le prof.

J'inspirai profondément. La classe était déjà bien dissipée. Le cours touchait à sa fin, les vacances approchaient, alors voir qu'une bonne partie de la salle ne me prêtait pas attention malgré les invectives du professeur m'aida à sauter le pas, et les mots coulèrent sans peine :

La rose

Certains disent que l'amour est une rivière,

Il submerge le roseau fragile.

Certains disent que l'amour est une lame,

Il fait saigner ton âme.

D'autres disent que l'amour c'est un désir insatiable qui te torture sans cesse.

Moi, je pense que l'amour est une fleur,

Dont toi seul est la graine.

C'est un cœur qui a peur d'être brisé,

Il n'apprend jamais la danse.

C'est le rêve que tu ne veux pas interrompre,

Il ne saisit jamais sa chance.

C'est celui qui ne veut pas être pris,

Il n'a rien à donner,

C'est l'âme qui a peur de mourir et oublie de vivre pour de vrai.

Quand les nuits sont solitaires,

Que la route semble interminable,

Que tu en viens à penser que l'amour n'est que pour ceux qui ont de la chance ou suffisamment de force,

Alors souviens-toi que l'hiver,

Sous la neige glaciale,

Se trouve la graine qui grâce à l'amour,

Deviendra une rose au printemps.


A la fin de ma lecture, la classe était silencieuse. Je regagnai ma place, comme en transe. Le professeur m'applaudit mais la sonnerie retentit et je m'éclipsai dans le couloir. Killian me rattrapa :

- Amanda !

- Oui.

- C'était  quoi ça ?

- Hein ?

- J'ai cherché ton regard, Amanda, j'ai cherché ton regard. Pas une fois tu n'as essayé, pas une seule fois tu n'as regardé dans ma direction !

Il avait raison. Pendant ma lecture, je n'avais vu qu'un flot d'image de Dimitri Grévois, au collège de Manèves.

Mon silence fut éloquent.

- Il y a quelqu'un d'autre ? C'est ça ?

Cela sortit tout simplement, comme une évidence.

- Oui. Dimitri, confessai-je malgré moi.

Killian semblait profondément blessé. Il se retint de pleurer.

- Okay, répliqua-t-il durement en tournant les talons.

Cet épisode inaugura notre rupture.

***

  Dimitri avait tout écouté. Je le sentais ému. D'une voix sincère, je lui déclarai pour conclure ce souvenir :

- C'est toi, Dimitri. Ça a toujours été toi, murmurai-je en essuyant une larme d'amour.

Les bougies s'éteignirent. Et à ce moment-là, des milliers d'étoiles semblèrent s'allumer. Les fameuses lucioles de la grotte enchanteresse de Waitomo lançaient leur lumière dorée sur les parois. Dimitri, lui, avait déjà trouvé le chemin de mes lèvres.


   ( Le poème d'Amanda est directement inspiré par la chanson de Bette Midler, The Rose  )

La cerise déconfiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant