9. Points de vue (1/4)

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Yohann me conduisit vers un banc miraculeusement vide entre deux vitrines sur l'ère préhistorique.

– Ça va ? On dirait que tu as vu un fantôme ?

– Une mégère, plutôt. J'ai cru voir Chloé Desneiges !

– Le cauchemar ! Ne psychote pas trop quand même. Profite du voyage.

Nous regardâmes quelques secondes les visiteurs qui déambulaient. Mais ma curiosité prit le dessus.

– Qu'est-ce que je peux pour toi ? demandai-je.

– J'ai... j'ai cru comprendre que tu serais une oreille attentive.

– Bien sûr, oui, ce n'était pas des paroles en l'air, affirmai-je, ravie qu'il veuille pousser plus loin la confidence.

– D'abord, je voulais m'excuser pour ma réaction.

– Tu rigoles, c'est de ma faute, j'aurais mieux fait de me taire plutôt que de t'obliger à m'en parler.

– Tu pensais bien faire, comme d'habitude. En fait ça m'a aidé. Ce n'était pas si terrible après coup. Enfin, bien moins que ce que j'avais imaginé.

– Tu sais, je n'aurais jamais osé te demander, même si j'avais eu des doutes, si je ne t'avais pas surpris avec ton amant. D'ailleurs, c'était un beau morceau !

– Tu as vu ! Quand je dis que j'ai bon goût.

Après avoir connu Yohann se vanter sans cesse devant la gent féminine, ça me faisait extrêmement bizarre de l'entendre sortir ces mots.

– Excuse-moi de te demander, mais pourquoi tu insistes à prétendre être attiré par les femmes ?

– Je ne sais pas... C'est un mécanisme de défense que j'utilise depuis le collège. J'étais entouré d'homophobes au sein de ma propre famille. Le problème c'est que ça ne m'a pas quitté. Pourtant, j'aime exclusivement les hommes.

Il avait prononcé cette dernière phrase avec moins de vigueur. Mais c'était quand même un pas de géant lorsque je repensais à sa réaction à Napier.

– Et donc, cet homme avec qui tu as passé la nuit quand nous étions aux sources chaudes ? Comment ça s'est fait ? Enfin, ce n'est pas de la curiosité mal placée, libre à toi de ne pas me répondre.

– J'ai téléchargé une application géolocalisée qui propose des rencontres. J'avais lu que cette zone était un spot connu de la communauté. On a convenu d'un rendez-vous. Pour le reste, sur place, pas besoin de maîtriser la langue, enfin, le langage pour être plus précis, ma langue a bien servi ce soir-là.

Je laissai échapper un rire qui se répercuta dans toute la salle d'exposition. Les fossiles auraient presque pu trembler.

– Ce que j'aurais donné pour que Marion entende ça ! dis-je en contrôlant mon fou rire.

– Le jour où elle l'apprendra, je suis bon pour un aller simple pour l'enfer.

J'essuyai mes yeux puis repris :

– Jamais je ne me serai doutée. Je radote, mais c'est vrai ! Je suis contente que tu te confies à moi. J'ai remarqué qu'on ne se connaissait pas du tout, et maintenant tu partages ton secret.

– J'apprécie de ne pas me sentir juger.

Il passa sa main dans sa barbe puis regarda dans le vide.

– Est-ce que tu te sens mieux ? Tu vas en parler à Dimitri ?

– C'est... trop tôt, c'est compliqué. Si je parviens à t'en parler, c'est sûrement parce que tu es moins proche de moi que lui. Mais...

– Quoi ?

– Rien.

Il s'était renfermé.

– T'inquiète, je ne te parlerai plus de lui, ni ne te mettrai la pression avec quand faire ton coming-out, sois tranquille. Après si tu veux en parler à Laura ou Anne, elles seront sûrement de meilleur conseil que moi, et elles sauront garder le secret.

– Je dois d'abord gérer le fait que tu le saches, et que désormais une partie de moi n'est plus dissimulée. Imagine, toutes ces années remises en jeu dès l'instant où j'ai su que tu m'avais vu.

– Oui.

– On devrait peut-être rejoindre les autres ?

– Où est Dimitri, d'ailleurs ?

– Je ne sais pas, je l'ai laissé en plan pour te retrouver, il était vers la salle de géologie.

– Il nous reste encore du temps avant de se rendre au point de rendez-vous. Tu veux poursuivre le tour du musée avec moi ? demandai-je.

– D'acc !

Il posa sa main sur ma jambe en se relevant, affichant un sourire simple que je ne lui avais jamais vu. Une proximité venait de s'installer en nous, de manière furtive. J'étais la seule détentrice de son plus grand secret. Une complicité sans ambiguïté s'installa immédiatement alors que nous observions les différents modèles exposés. Il était enfin lui-même, ne jetait plus de regards appuyés ni de réflexions dès le passage d'une femme, et surtout il partagea ses goûts en matière d'hommes, si bien que la visite du musée se termina par une critique de chaque mâle qui défilaient sous nos yeux et dont nous notions sur dix le sex-appeal.

La cerise déconfiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant