12. Danse toute seule (2/5)

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Bientôt repartis pour la dernière marche de la journée, ce fut Laura et Anne qui vinrent à moi. Yohann avait rejoint Dimitri et Marion ne lâchait pas Angus, qu'elle se gardait bien de nous présenter.

– Dimitri m'a dit tout à l'heure que tu lui avais parlé de ton agression au lycée.

J'acquiesçai.

– Ça a dû être horrible ! surenchérit Anne. Ma pauvre Amande. Comment as-tu fait, ensuite ? Pour reprendre le bus et aller au lycée ?

Ça n'avait pas été facile, en effet.

La semaine suivante, ma mère avait pris des jours, préférant rester avec moi. Elle avait appelé le proviseur pour lui dire que j'étais malade. Ce n'était pas le genre de mes parents, et encore moins de ma mère. Eux-mêmes n'avaient jamais eu une seule absence au travail, excepté pour les congés parentaux lors de ma naissance et celle de Léo. Mes carnets de correspondance de la classe de sixième à la seconde comportaient encore l'intégralité des billets roses et bleus, dévoués aux notes d'absences et de retards.

Au départ reconnaissante du soutien de ma mère, je trouvai que son action soulignait l'urgence de la situation : j'allais mal.

Elle avait posé ses conditions : elle acceptait pour le moment de ne pas me poser trop de questions sur ce qu'il s'était passé, j'avais le droit à une seule semaine à la maison, ensuite je devrais retourner en cours le lundi suivant et me concentrer sur le premier bac blanc de français.

Nous sommes allées au cinéma, avons passé du temps dans les boutiques et au salon « Bien-être et Spa » de Manèves. A nous occuper tous les jours, et sous la présence maternelle protectrice, je passais l'une de mes plus belles semaines. Ma mère ne nota aucune saute d'humeur de ma part, ce qui la surprit compte tenu de la scène à laquelle elle avait assisté dans la salle de bain.

Lorsque mon père rentrait du travail, et mon frère de l'école, ils retrouvaient un foyer doux et chaleureux. Cette période nous est restée en mémoire et il n'était pas rare que l'on vienne à l'évoquer de temps à autre au fil des années.

Le week-end arriva. Nous étions conviés à une fête de famille chez tata Jacotte. J'allais voir tous mes cousins et je trépignais d'impatience dans la voiture. Mon père dût me rappeler à l'ordre car j'ouvrais la portière avant même qu'il n'ait terminé de se garer.

Sa propriété était immense. La maison de campagne comportait deux étages et suffisamment de chambres pour nous garder à dormir. Elle était bordée d'un grand jardin nu qui donnait sur les champs agricoles.

Ce dont je me rappelais surtout concernant ce dimanche, c'était la partie de cache-cache. Les adultes tous repus et avinés étaient restés à l'intérieur, mais avec mes cousins nous étions sortis dehors pour notre cache-cache rituel. Je me rappelais de ce sentiment grisant, alors dissimulée dans la haie, lorsque je percevais les jambes des autres qui me cherchaient sans trouver. Car si eux avaient grandi et n'osaient plus se cacher aussi loin dans les fourrés, de peur de se salir, ou d'être entourés d'araignées, pour ma part ce détail m'indifférait. Et je me sentais en sécurité, loin du monde.

Mon cousin passa à nouveau devant ma cachette.

– Amanda, je suis sûr que tu es là-dedans !

Faut dire que les endroits où nous pouvions nous cacher étaient rares. Je ne fis aucun bruit et m'extirpai de l'autre côté sur le champ où je m'enfuis en courant. La partie de cache-cache se termina en ruade dans les herbes folles où résonnaient les rires de tous les cousins.

Je réalisai que depuis plusieurs heures, je n'avais pas repensé à mon agression. La mélancolie s'abattit sur moi lorsque mon père m'appela au loin pour me dire que nous rentrions.

En disant au revoir à mes cousins, je me disais que j'aurais aimé qu'ils soient tous dans ma classe. Nous étions proches, ne nous étions jamais disputés, et me paraissaient si gentils. Mais pourtant, ils devaient bien être comme tout le monde et avoir leurs défauts.

Ce fut ma dernière partie de cache-cache. Désormais je pense beaucoup trop aux insectes pour oser m'aventurer dans les haies ou les champs.

Le dimanche, impossible de m'endormir. J'aurais voulu remonter le temps, ou juste l'arrêter. J'envoyais un sms à Laura. Elle était encore sur MSN et j'entendis l'alerte sonore caractéristique sur mon ordinateur portable.

Je me levais et coupais le volume en prenant soin de ne pas faire grincer le plancher, ma mère serait montée me confisquer mon ordi si elle voyait que je ne dormais pas. Mes pas et gestes étaient très lents jusqu'à ce que je retourne sur mon lit en évitant d'émettre le moindre son. Alors en soulevant mon écran, je vis que Laura m'avait envoyé un Wizz, celui du poing qui frappe au carreau de l'écran, supposé signifier que l'autre en ligne s'impatientait. Sa photo Msn la montrait avec son tout nouveau lecteur mp3 rouge accroché autour du cou. Nous terminâmes ce dimanche par un échange.

LOra dit :

Youhou ! Alor quoi ? tu revien bien o lycé dmain ?


La petite Laracello dit :

Oui

J'ai trop peur

Jvai ptetr sécher


LOra dit :

Non ! Tinkièt ça va aller

On fait la route ensemble si tu veu


La petite Laracello dit :

Tu vas pas faire le détour en bus


LOra dit :

Ba si

Men fiche

Toute façon tu vien un point c tout !


La petite Laracello dit :

Tu ferai ça ?

Javou le bus ça me rassurai avec toi


LOra dit :

J'avai déjà prévu de vnir


La petite Laracello dit :

Et si jrecroise le gars ?

Puis Elie qui va croir que jsui malade a cause d'elle


LOra dit :

Je leur pète leur gueule aux deux !

Men balance la tartiflette !


La petite Laracello dit :

LOL


LOra dit :

C pas du mytho

jleur crève les yeux avec mon stylo !

Garde du corps

je vais me reconvertir


La petite Laracello dit :

jtador

Bon alors dmain devant chez moi à 7h20 ?


LOra dit :

YESSS

On ira voir king kong après le cours de SVT, ok ?


La petite Laracello dit :

T'es vraiment ma meilleure amie

Je t'aime


LOra dit :

Je t'aime

Smack smack


Souvent je me suis demandé comment aurait été ma vie sans Laura. Je n'arrive jamais à l'imaginer sans elle. En grandissant, j'ai pris conscience de l'impact considérable qu'elle a eu, et j'espère que c'est réciproque.

La cerise déconfiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant