7. Art défaut (4/4)

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La ville de Napier nous plongea dans une ambiance encore différente. Robine nous expliqua :

– Vous verrez beaucoup de bâtiments de style Art Déco. Vous savez pourquoi ? Lorsque la ville a été ravagée par un séisme en 1931, elle a été reconstruite dans ce style très en vogue.

Nichée sur la côte est, la cité surplombait l'océan. Nous quittâmes l'Elysium pour une découverte toute en douceur des rues de la ville. Des maisons et immeubles aux formes géométriques propres au courant Art Déco délimitaient les avenues animées. Là encore, il faisait beau et le soleil vif rehaussait les couleurs pastel des façades bleues, jaunes, vertes ou roses. Nous longeâmes une rue piétonne bordée de palmiers.

– Ça ne te rappelle pas Miami, Laura ? demanda sa femme.

– J'allais te dire la même chose, répondit-elle avant de l'embrasser.

Depuis que nous étions dans ce pays, je constatai de plus en plus cette douceur de vivre. Les paysages, la jeunesse, le climat et l'ambiance insulaire de la Nouvelle-Zélande avaient de quoi attirer. Je comprenais bien mieux les Européens qui s'expatriaient ici.

Dimitri et Yohann restèrent pour boire une bière dans un bar. Nous voulions pousser plus loin vers le port et les laissâmes entre eux.

Nous nous retrouvâmes devant le Sound Shell, une scène de spectacle qui prenait la forme d'un coquillage, juste sur le front de mer. Devant, sur l'herbe du grand parterre, nous trouvâmes une place parmi les spectateurs. Un groupe de violonistes et deux chanteurs régalèrent nos oreilles. Nous fîmes quelques va-et-vient entre une buvette et le devant de la scène, puis Yohann s'éloigna pour fumer.

Je profitai de cet instant pour venir à lui. Je lus l'étonnement dans son regard. La situation était inhabituelle, j'avais sciemment laissé Dimitri et mes meilleures amies pour lui tenir compagnie, ce qui n'était pas encore arrivé depuis que j'étais en couple avec son pote.

– Tu veux une clope ? demanda-t-il.

– Non, merci. La dernière fois que j'ai fumé, j'ai déliré avec un Gouda et embrassé Marion, ou l'inverse.

– Ah, au Domaine des Anges. Dimitri m'avait raconté. Dis, tu ne veux pas le refaire devant moi avec Marion ? Ce serait gentil de partager.

Moi qui voulais raconter cette anecdote pour me détendre avant de trouver les bons mots, je profitai de sa tirade pour me lancer :

– Yohann, je voudrais te parler de quelque chose.

Je prenais une voix douce et un visage aimable, pour qu'il soit assuré de ma bienveillance.

– Vas-y, Amanda. Promis je resterai sérieux.

– Ne le prends pas mal, je... Tu sais, à Rotorua, je me suis promenée vers les sources chaudes, en pleine nuit.

Je regrettai instantanément ma phrase au moment où je vis son visage se fissurer. Il était nu, découvert, fragile, vulnérable. Son expression m'effraya et il contourna la place, comme pour se cacher. Je lâchai pour moi un :

– Putain, qu'est-ce que j'ai fait ?

Les autres restaient devant la scène, au loin, et moi je suivis Yohann. Impossible de le laisser comme ça.

– Yohann, tout va bien, murmurai-je posément.

Des tics nerveux secouaient son corps. C'était impressionnant cette manifestation physique de son état de trouble. Sa respiration était plus saccadée, son regard cherchait quelque point où se raccrocher. Je me rappelais Laura qui au moment de l'annonce avait aussi manifesté un effort physique. Sauf que là, c'était moi qui l'avait forcée. Je suais de culpabilité.

Yohann s'assit sur un rebord, comme si rester debout était trop dur.

– Yohann, regarde-moi.

– Tu étais toute seule ? demanda-t-il toujours aussi paniqué en m'attrapant le bras.

– Oui.

– Personne d'autre ?

– Je te jure, je n'ai rien dit. Je suis repartie tout de suite, pour vous laisser tranquille.

Il mit quelques minutes à reprendre sa respiration.

– Je suis désolée, je ne voulais pas te mettre dans cet état. Je pensais bien faire...

– Ne pense pas, la prochaine fois. J'y retourne, ils vont se demander ce que l'on fait.

– Attends, tu t'es vu ? Ils vont voir qu'il y a un souci.

– A qui la faute ?

– Je suis vraiment désolée. Ecoute, tu n'as rien à dire, ni à expliquer. Je voulais juste que tu saches que le jour où tu veux en parler, n'hésite pas. Je serais là, et je te promets de ne rien dire. Vraiment, c'est une promesse. C'est la seule raison, te faire savoir que tu n'es pas seul, et aussi que tu devrais être plus discret si tu ne veux pas qu'on te surprenne.

– Il était deux heures du matin, merde ! Vous étiez tous couchés !

– Yohann, les imprévus, tu connais ? Plus on est nombreux, plus il y a de risque. Tu n'as pas pensé que Dimitri et moi aurions la même idée que toi et ton copain ?

Il se frotta les yeux, essaya de reprendre une contenance.

– T'as dit que t'étais seule !

– Je te jure qu'il n'a rien vu, je l'ai emmené sur la crique. Mais donc, Dimitri n'en sait rien ?

– Je ne veux pas en parler. Ils vont vraiment se demander où on est ? C'est louche, merde, ils vont griller...

– Calme-toi. Viens, marchons un peu.

Le Dome Hotel nous faisait face. Nous avions réservé une table dans le restaurant pour le dîner. Nous fîmes l'aller-retour tranquillement et je parlai de tout et de rien. Il faisait semblant d'avoir oublié notre échange, même s'il était évident que nous n'avions que ça à l'esprit. Pourtant, il se calma au fur et à mesure et nous pûmes rejoindre le groupe.

– Mais où vous étiez passés ? demanda Laura.

– Au restaurant, pour bien confirmer notre réservation, prétextai-je.

– Parfait, il fait faim ! dit Marion en se levant.

– Ça ne m'étonne plus, dit Yohann à la jeune maquilleuse.

Nous prîmes donc la direction de l'hôtel dont le dôme illuminé toisait le bord de mer.

– Je vois que tu as suivi mes conseils, déclara Dimitri.

– De ?

– Parler avec Yohann. Alors, t'as vu, il sait être cool quand il n'est pas en représentation ?

– On est sur du mieux... répondis-je.

Ce n'était pas encore le grand amour, mais notre relation avait clairement pris un autre tournant.

Désormais une question demeurait : de qui provenait le mot qui m'était destiné ?


Notes à moi-même :

1. Ne plus me mêler de ce qui ne me regarde pas.

2. Demander à Robine s'il y a des caméras dans l'Elysium.

3. Parler du mot à Laura ?

4. Eviter les fruits de mer.

La cerise déconfiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant